Chapitre 38

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     Il y eut une nouvelle cérémonie, plus lugubre que les précédentes. Le ciel, couvert, paraissait plus sinistre encore, alors que l'équipage rendait un dernier hommage à Murphy dont le sourire et les rires nous manquaient déjà. Et pendant tout ce temps, je me tins près de Marie-Morgane, la soutenant comme je pouvais. Mon amie pleura si fort la perte du matelot que son corps menaçait de s'effondrer sous ses sanglots. La voir ainsi me brisait le cœur.

     Cette fois, le capitaine ne put mentir sur les causes du décès. Et le chagrin fut rapidement accompagné d'une peur tenace car personne n'ignorait à présent qu'un monstre rôdait. Cependant, et bien que la mort de Murphy fût des plus horribles, le capitaine et ses officiers choisirent de ne pas parler de Morbius, arguant à la place la présence d'un monstre marin dont nous aurions par mégarde traversé le territoire et qui menacerait de s'en prendre à nous. Le capitaine s'était d'ailleurs dépêché de s'enfermer dans son bureau avec ses navigateurs, bien décidé à trouver le meilleur chemin pour rentrer au plus vite. Plus que tout à cet instant il souhaitait retrouver le port de Belhart.

     Après la cérémonie, Marie-Morgane s'éteignit complètement. Je l'avais raccompagné à sa cabine où elle s'était allongée dans son lit sans un mot, les larmes laissant place au silence. Elle n'avait eu de cesse de jouer avec le coquillage que lui avait offert Murphy, son jumeau ayant sombré avec le marin au fond de l'océan, là où la preuve de son amour demeurerait à jamais. Et pendant les longues heures suivantes, je la veillai, tentant de lui faire comprendre qu'elle n'était pas toute seule, que je ne la laisserai pas. Finalement, après de longues heures de silence, Marie-Morgane s'endormit, mais sans jamais lâcher le coquillage de Murphy.

     Je m'en voulais tellement... Je savais bien que Morbius était le coupable, que c'était lui qui avait tué et mutilé Murphy, mais les images de cette horrible nuit me hantaient si fort... C'était comme si je l'avais tué moi-même, comme si c'étaient mes crocs qui avaient déchiré sa chaire, mon appétit qui l'avait emporté. Et pour ça je me dégoûtais. J'aurais voulu que ce soit un rêve, un cauchemar, un horrible cauchemar.

     Mais comme tout ce que je voyais la nuit, c'était bien réel.


***


     Je lisais un livre quand on toqua doucement à la porte. En levant les yeux, je vis Cassius entrer discrètement dans la pièce. Son regard passa de Marie-Morgane étendue dans ses couvertures à moi.

     – Comment va-t-elle ? demanda-t-il si bas que je manquai de ne pas l'entendre.

     Je jetai un triste regard à mon amie avant de poser mon livre et de me lever. J'entraînai Cassius au-dehors et m'assurai de bien refermer la porte derrière moi avant de me tourner vers lui. Je ne voulais pas la réveiller.

     – Elle n'a pas dit un mot depuis la cérémonie, avouai-je dans un murmure. C'est comme si elle n'était plus vraiment là.

     Nous gardâmes le silence un moment quand Cassius se racla la gorge. Il semblait brusquement mal à l'aise, maladroit.

     – Hum... Et toi ? Comment tu vas ? Après ce que tu as dû voir...

      Je lui jetai un regard, consternée. Et sentant la colère me monter, je préférai sortir sur le pont au pas de course, Cassius sur mes talons. Je voulais mettre le plus de distance entre lui et moi. Je ne voulais pas même lui parler. Sous la pluie qui commençait à tomber, il me rattrapa et me força à le regarder.

     – Pourquoi n'es-tu pas venu me trouver après avoir vu cette scène ? demanda-t-il enfin.

     – Et pourquoi l'aurai-je fait ? exposai-je en me dégageant d'une bourrade. Je vois bien à quel point je te dégoûte ! Comme cette nuit dégoûtée !

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant