Chapitre 6

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     Première nuit à bord de la Sirène et je n'étais même pas parvenue à me rendormir.

     Après avoir regardé le soleil se lever langoureusement à l'horizon, j'avais décidé de prendre un bain. L'eau tiède m'apaisa alors que les dernières ombres de ma nuit s'estompaient lentement de ma mémoire.

     Car c'était bien là mon don, cette étrangeté qui me suivait depuis ma naissance. Quand le sommeil m'emportait, mon esprit s'ouvrait au monde et je voyais tout ce qu'il s'y passait, de la plus infime action au geste le plus atroce sans jamais avoir le moindre contrôle sur ce que j'allais voir.

     Quand j'avais de la chance, je me retrouvais à flotter dans les airs, passant la nuit à regarder les étoiles puis le soleil se lever. Ces moments m'étaient doux, presque reposant. Mais la plupart du temps, je me retrouvais à suivre des inconnus dans leur errance, parfois même me retrouvais-je enfermée dans leur tête, incapable de bouger, de réagir alors que je découvrais le monde par leurs yeux.

     La vision de Nocturna qui lui permettait de surveiller le monde, cette même vision qui m'empêchait de dormir la nuit, faisait naître sous mes yeux ces cernes violacés, témoins silencieux de mon calvaire. Parce que je ne voyais pas cela comme un don, loin de là. Ne jamais trouver le repos, même dans mon sommeil, c'était épuisant, éreintant. Et j'enviais un peu plus chaque jour tous ces gens qui dormaient, qui rêvaient.

     Je ne savais même pas ce qu'était un rêve, quelle en était la couleur, le goût ou l'odeur. Quelle en était la sensation ? Que ressentait-on en rêve ? Flottait-on comme je le faisais nuit après nuit ?

     Acanthe me racontait souvent les rêves fabuleux qu'elle faisait, tous ces paysages, ces personnes et ces créatures qu'elle y rencontrait. Et je n'avais pour seule illustration de tout cela que ses explications enfantines, ses dessins maladroits et ma fluette imagination qui n'avait jamais rien connu d'autre que ma sinistre réalité.

     Tout ce que j'avais, c'étaient ces aperçus du monde, fugaces et lointains.

     Et ce mauvais pressentiment qui ne me quitta pas en sortant du bain.

     Car si je ne rêvais pas plus que je ne cauchemardais, alors à qui avais-je rendu visite ?

     Ou plutôt, à quoi ?

     N'étant pas d'humeur à ruminer plus longtemps ce sombre épisode de ma nuit, je me mis en tête d'explorer plus avant le navire. La Sirène, toujours partiellement endormie, offrait un spectacle apaisant dont j'avais rudement besoin. Alors, après un dernier au revoir à Acanthe qui dormait toujours profondément, je me mis en route.

     En sortant de ma cabine, je vis les marins de nuit laisser leur place à leurs collègues diurnes dans une coordination fascinante, pareille à une fourmilière qui se réveille.

     Les couloirs, comme l'avait dit Murphy, me semblèrent aussi longs et nombreux qu'un labyrinthe. Je descendais, remontais, passais de coursive en corridor sans vraiment savoir vers où je me dirigeais. Maman disait souvent que le voyage comptait plus que la destination, alors je continuais à errer, admirant les boiseries, les décors et tout ce qui pouvait s'offrir à moi.

     C'est ainsi que j'arrivai devant une imposante porte à double battant. Son bois était splendide, parcourus de dessins comme seule l'essence des bois pouvait en faire. De l'autre côté s'étendait le grand restaurant décris dans le dépliant. Des marins grimés en serveurs s'y afféraient pour mettre le couvert en vue du petit déjeuner. La pièce semblait si vaste. Tout au fond, il me sembla même apercevoir une scène. Sans doute avaient-ils prévu des spectacles pour le soir.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant