Chapitre 26

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     Silencieuse, j'assistai à une nouvelle cérémonie. Et cette fois-ci, toute la première classe et une grande partie des jeunes femmes présentes à bord pleuraient à chaudes larmes. En si peu de temps, Hadrian était parvenu à toucher tant de monde... alors lui dire au revoir aussi brutalement, alors même que notre voyage ne faisait que débutait s'avérait plus difficile encore.

     Dans le ciel, des nuages avaient commencés à s'étendre. Je me tenais là, immobile, le dos si raide que mes muscles me faisaient mal. Je n'entendais même pas les marins chanter pour Hadrian, ni le capitaine parler pour lui. Je ne fis pas plus attention au cercueil qu'on laissait tomber à l'eau. Tout ce que je percevais, c'était cette effroyable scène à laquelle j'avais assisté plus tôt. Il me semblait encore entendre le son de la chair qui se déchire, sentir le sang chaud et poisseux me recouvrir, son goût sur ma langue, celui de mes larmes. Je revoyais le regard laiteux du corps écroulé sur la porte, son abdomen déchiqueté et finalement le sourire du monstre qui s'en était échappé.

     J'en avais encore la nausée.

     Un nouveau mort... et en plus il s'agissait d'Hadrian. L'injustice de cette situation me rendait malade. Lui qui était si gentil, si prévenant. Je revoyais encore son regard où brillait toute la bonté qui l'habitait. Et tout ça, anéanti par la cruauté de cette bête... Plus qu'effrayée je me sentais en colère, furieuse même. Je me sentais me consumer de rage, frustrée tant par le fait de m'être si facilement fait avoir alors même que Cassius m'avait prévenu, que j'en avait vu les signes, mais surtout de ne pas avoir progressé plus vite. Ce passage à la Tour d'Espérance, je regrettais même de l'avoir passé à me détendre. Je n'aurais jamais dû aller me baigner ni même penser à autre chose. J'aurai dû commencer mon entraînement, me plonger dans ce don que j'exècre pour le trouver. Après la découverte du corps d'Eliza j'aurais dû me mettre au travail au lieu de me prélasser. Je regrettais tellement de ne pas avoir agi plus tôt...

     Si certains passagers commençaient à se poser des questions sur ces nombreuses et soudaines morts, personne n'en dit rien. Mais je ne pouvais m'empêcher de me demander si quelqu'un ne commençait pas à songer que cette croisière avait été maudite des dieux.

     Ce soir-là au dîner, je ne touchai pas une miette de mon assiette, encore troublée par cette vision d'horreur qui me hantait. Quand le capitaine avait prétexté une rupture d'anévrisme, rapide et sans douleur, j'avais cru devenir folle. J'aurais voulu hurler, le contredire. À la place, j'avais serré les poings jusqu'à m'en faire mal, la gorge en feu, et j'avais regardé le cercueil dériver dans les vagues que produisait le bateau jusqu'à sombrer pour de bon.

     Rapide et sans douleur... exactement l'inverse de ce qu'avait dû vivre Hadrian. Mais ce qui me dégoûtait le plus, c'était qu'alors que je pensais danser et m'amuser avec Hadrian, c'était Morbius qui me tenait dans ses bras, me faisait rire et riait avec moi. Je comprenais mieux la grimace qu'il avait faite quand je lui avais parlé de mes sœurs, de son dégoût apparent de l'eau et son refus de m'accompagner jusqu'à la Tour d'Espérance pendant notre halte. Évidemment qu'il n'allait pas mettre un pied dans l'eau, il se serait tout de suite fait remarquer par les Typhéides ! Quelle idiote j'avais été de ne rien voir !

     La nuit qui suivit fut emplie d'obscurité et de ricanements mesquins. Dans mon non-sommeil, j'avais survolé l'océan de nuit, hantée par les murmures de Morbius qui me poursuivaient où que j'aille. Il se moquait de moi.

     Au petit matin, après une nuit on ne peut moins reposante, j'étais allé trouver Cassius dans sa cabine. L'abattement et le choc avaient laissé place à une sourde colère, une haine viscérale qui me poussa à me décider à partir en chasse. Hors de question de rester plus longtemps sans rien faire. Je devais débusquer Morbius pour que Cassius et les Typhéides puissent enfin l'arrêter.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant