Chapitre 34

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     Ce soir-là, et comme trop souvent ces derniers jours, je ne parvenais pas à trouver le sommeil.

     Je soupirai et finis par laisser mon esprit vagabonder autour du bateau. Je marchai sur l'eau, sentais à peine les vagues m'effleurer la voute plantaire. Une douce brise s'était levée peu après la tombée de la nuit, j'en sentais tout juste le souffle. Au côté de la Sirène, j'observai les marins s'afférer, éclairé de leurs centaines de lanternes dont le reflet ondoyait à la surface de l'océan. J'errai sans but précis, admirai les milliers d'étoiles qui brillaient dans le ciel. Il y en avait tant... c'était si beau. Il n'y avait là pas le moindre petit nuage. Le ciel était clair, un tableau qu'aucun peintre au monde, j'en étais certaine, n'aurais pu égaler.

     Je dansais et virevoltais dans l'écume du navire quand je remarquai de la lumière dans une cabine de la première classe. Tout en haut du ciel, la lune brillait de tous ses feux. Il était tard, bien trop tard pour que quelqu'un soit encore debout. Qui pouvait-ce bien être ? Intriguée, je finis par m'approcher. Je sentais l'air sous mes pieds à chacun de mes pas alors que je m'élevais assez haut pour atteindre la lucarne.

     De l'autre côté, je vis Cassius se ronger les ongles, penché sur un monceau de documents éparpillés sur son bureau. Sa cabine semblait encore plus désordonnée qu'à l'accoutumé, des papiers volant de ci de là sans que le demi-dieu n'y prête la moindre attention. Il semblait nerveux, agité. Encore plus qu'il ne l'avait jamais été, à des années lumières de cela même.

     Je fronçai les sourcils. En le découvrant j'avais d'abord pensé m'en aller mais... il y avait quelque chose d'étrange dans son agitation. Alors, comme le fantôme que j'étais, je traversai le bois et atterrit dans la pièce avec la légèreté d'une plume. En m'approchant, je remarquai qu'il marmottait dans sa barbe des mots incohérents.

     – C'est trop tôt... grommelait-il tout bas. Ça ne va pas... ça ne va pas du tout... pas maintenant...

     Je flottais un peu plus loin, prenant garde de bien garder mes distances. Je ne voulais pas qu'il sente ma présence, mais je ne pouvais m'empêcher de l'observer. Sans lui, mes nuits étaient redevenues tout aussi mouvementées qu'avant. Je ne contrôlais plus mes visions, à peine mes voyages. Et il me manquait, il me manquait tellement... Être à la fois si proche et si loin de lui me faisait mal, incroyablement mal. Jamais je n'aurais cru possible de ressentir quelque chose d'aussi fort pour quelqu'un, et cela me brisait encore plus le cœur de voir qu'il me fuyait.

     Et à cet instant, en voyant ce qu'il était devenu, je sentis mon cœur se serrer douloureusement.

     Cassius avait l'air encore plus mal que la dernière fois que je l'avais croisé. Ses cernes plus foncés, sa peau bien trop pâle. Ses beaux cheveux blonds d'habitude en bataille avaient maintenant l'air complètement hirsutes à force de voir passer ses doigts nerveux. Et ses yeux... ils semblaient si proche de la démence à courir frénétiquement les mots et les plans de ses cartes et journaux. Avait-il fini par perdre la raison ? Que pouvait-il bien se passer dans sa tête ?

     Invisible, j'aurais pu passer des heures à l'observer se torturer quand un bruit me fis sursauter. Quelqu'un avait toqué. Trois coups sec et étrangement bruyant dans cette nuit si calme. Trois coups qui sonnèrent comme le tonnerre à mes oreilles.

     Je sentis tout de suite la présence qui attendait, dangereuse, malfaisante. Instinctivement, je reculai, me cachant presque dans un coin d'ombres. Cassius s'était redressé soudain très calme et regardait la porte, les sourcils froncés. Et à l'expression qui durcit brusquement ses traits, je compris qu'il savait lui aussi qui attendait derrière cette porte.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant