Chapitre 8

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     Je discutais toujours avec Marie-Morgane quand Murphy et un autre marin commencèrent à rassembler une foule de passager sur le pont. Face à mon air interrogateur, ma nouvelle amie sourit.

     – Ils se rassemblent pour la visite guidée, tu te souviens ? On vous en avait parlé à votre arrivée hier.

     – Oui, c'est vrai, fis-je un peu dans la lune.

     En vérité, avec ma nuit mouvementée, ma propre visite du navire et ma rencontre avec Marie-Morgane, j'avais complètement oublié !

     – Tu viens ? me proposa cette dernière en se levant.

     – J'ai déjà visité la Sirène en solitaire tôt ce matin, avouai-je un peu mal à l'aise.

     – Ce n'est pas temps pour la visite, m'expliqua-t-elle, mais plutôt pour surveiller Murphy.

     – Le surveiller ? fis-je perplexe.

     – Si je ne le fais pas cet idiot serait capable de leur faire visiter à tous la cabine du capitaine.

      J'eus un rire et décidai de la suivre.

     En nous mêlant à la foule, je remarquai mes sœurs non loin et mes parents. Visiblement, papa avait pu voir le docteur Osborne et se sentait mieux. Il restait pâle, certes, mais il avait tout de même meilleure mine que lors de notre départ. Je leur fis signe et la visite commença.

     Je redécouvris ainsi le labyrinthe de couloirs et de coursives, certains donnant sur des pièces que j'avais déjà visitées, d'autre m'offrant une vue sur des lieux que je ne pensais pas retrouver sur un navire. Comme cette bibliothèque dans laquelle, en plus d'un bon millier de livre recouvrant chaque mur, avait été installé un peu partout des moulures et des tableaux représentant des monstres marins. Une statue à l'effigie de Typhon trônait même sous une fenêtre.

     Nous passâmes par la salle de musique, toujours aussi belle et lumineuse où nous perdîmes quelques passagers. Émerveillés de trouver ici un endroit où pratiquer, certains des musiciens laissèrent la visite pour s'adonner à un joyeux concert. Puis il y eut le grand restaurant où je retrouvai le chef Kingsford qui discuta joyeusement avec nous, impatient de nous servir le déjeuner.

     Dans la serre, Marie-Morgane se pencha vers moi pour me demander si mon père allait bien. Elle semblait inquiète et, en me retournant, je compris pourquoi. Papa regardait tout autour de lui en pleurant. Il avait même sorti ce vieux mouchoir fleurit de sa poche et y soufflait bruyamment. Ses mains étaient couvertes de ces gants de cuir usés qu'il ne quittait jamais. Car il avait beau aimer son métier et sa Déesse de Naissance de tout son cœur, il ne pouvait s'empêcher d'avoir honte de ses mains.

     – Ce n'est rien, lui assurai-je avec un sourire. C'est un féru de botanique, il cultive des plantes du monde entier. Il est très populaire auprès des nobles de Ventis. Il a même participé à la création des jardins du Maire. C'est grâce à lui qu'on a pu avoir des places en seconde classe à bord de la Sirène.

     Marie-Morgane sourit, impressionnée.

     – Je croyais qu'on cultivait plus facilement des courants d'air par chez toi.

     – Il est de l'égide de Thalie, souris-je en retour. Il a les mains vertes. Littéralement.

     Un peu plus loin, devant les portes d'une grande salle d'art, je remarquai un passager s'éloigner de la foule pour s'enfoncer dans les profondeurs du navire. Je ne le vis pas longtemps mais reconnus son profil et ses cheveux d'or. Le jeune homme des quais.

     – Marie-Morgane, appelai-je tout bas alors que Murphy parlait joyeusement de toutes les activités que l'équipage avait prévues, tu sais qui c'est ?

     Mon amie se retourna juste à temps pour le voir disparaître à l'angle du couloir.

     – C'est Cassius, dit-elle simplement en se détournant. Ne fait pas attention à lui, poursuivit-elle en suivant la visite des yeux. Il travaille à l'entretient du bateau.

      – Je croyais qu'il était passager, fis-je perplexe.

     – En quelque sorte. Disons qu'en échange de son expertise, nous lui faisons le billet à moitié prix.

      Je n'eus pas le temps de répliquer que déjà elle me prenait la main pour m'emporter derrière elle.

     – Allez viens, il faut que je te montre quelque chose !

     – Mais, et la visite ?

     – Elle est quasiment finie, répliqua-t-elle avec un sourire malicieux. Murphy n'ira pas plus loin s'il ne veut pas exposer à la vue de tous ces bonnes gens ses sous-vêtements sales.

     – De quoi ?

     Marie-Morgane me montra la prochaine porte devant laquelle le groupe passa.

     – C'est le dortoir des matelots. Et, crois-moi, tu n'as pas envie d'y entrer !

     Pour illustrer son propos, elle grimaça en tirant la langue avant de m'emporter dans les couloirs de la Sirène.

     Marie-Morgane passa de coursive en coursive sans jamais s'arrêter pour demander son chemin où regarder où elle allait. Je ne comprenais pas comment elle faisait pour s'orienter. Pour ma part, j'étais déjà perdue au moment de quitter le groupe ! Et elle nous fit prendre tant de chemin différent que je ne parvins pas même à les mémoriser ni à m'en souvenir. Pourtant, et aussi bizarre que ça me sembla après avoir autant monté et descendu d'escaliers, nous nous retrouvâmes sur le pont. Comment ? Cela resta pour moi un véritable mystère.

     Mais je n'eus pas le loisir de m'y attarder très longtemps. Continuant de courir, Marie-Morgane traversa le pont avec agilité, sautant par-dessus les cordages et caisses abandonnés alors même que je n'arrêtais pas de trébucher derrière elle, gênée à la fois par la lumière du soleil qui me sembla trop vive et par tout ce qui pouvait traîner par terre et qui s'accrochait au bas de ma robe.

      Non décidément, ça n'était vraiment pas le genre de vêtement à porter sur un navire. Et j'enviais d'autant plus l'étrange accoutrement de mon amie en la voyant se déplacer aussi facilement.

     Notre course se poursuivit jusqu'au gaillard d'arrière que Marie-Morgane parcourut sans même s'arrêter. Elle fonça à la place en direction de la dunette dans laquelle elle s'engouffra juste avant moi.

     À l'intérieur tout me sembla trop sombre et mes yeux mirent un moment à s'acclimater. Je remarquai alors un petit couloir qui nous faisait face. Ce dernier se séparait sur deux portes ouvragées l'une à côté de l'autre.

     – Ce ne sont pas les appartements du capitaine ? demandai-je hors d'haleine en découvrant les ornements qui décoraient la première porte.

     – Et les miens, confirma Marie-Morgane en tournant à droite.

     Et elle fondit sur un petit escalier en colimaçon que je n'avais même pas remarqué. Une fois parvenue au pallier d'en dessus, Marie-Morgane s'arrêta enfin et nous reprîmes notre souffle.

     – Comment peux-tu courir aussi vite avec un pied bot ? demandai-je le souffle court. Tu es plus rapide qu'un courant d'air !

     – La force de l'habitude, sourit fièrement Marie-Morgane. Les jours de tempête, quand les vagues font tanguer le navire au plus fort, je suis la seule à rester bien droite, s'esclaffa-t-elle. Les autres tanguent presque autant que le navire !

     Et nous éclatâmes de rire.

     Marie-Morgane attendit patiemment que je reprenne mon souffle avant de s'écarter pour me présenter la pièce qui s'offrait à moi.

     – Meredith Caldwell, je te souhaite la bienvenue dans la partie la plus secrète de ce navire : la salle des cartes !

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant