Quand j'ouvris les yeux, quelques heures plus tard, ce fut pour me découvrir emmêler dans des couvertures. En voulant m'en débarrasser – j'avais monstrueusement chaud – je réalisai brusquement que je ne me trouvais pas dans ma cabine. Mais, alors même que je tentais de me lever pour observer mon environnement, un furieux mal de crâne me fit revenir en arrière. Finalement, peu importait à qui appartenait cet oreiller, il était plus que bienvenue ! J'avais l'impression qu'un orage avait éclaté derrière mes yeux...
Alors que je me massai les tempes, j'entendis du bruit comme le frôlement d'une feuille de papier. J'osai ouvrir un œil, tournant la tête le plus doucement possible et découvris finalement Cassius. La mine fatiguée, il était assis dans un fauteuil non loin, un livre à la main. À côté de lui, sa conque reposait sagement sur un guéridon.
– Cassius...
Le demi-dieu releva aussitôt les yeux pour les planter sur moi. Avec un étrange empressement, il abandonna son livre pour me chercher un verre d'eau et de quoi grignoter. Ce ne fut qu'à cet instant, alors qu'il m'aidait à me redresser dans mes oreillers que je remarquai enfin le plateau repas qui attendait sur la table de chevet. À peine assise, il me planta ce dernier sur les genoux.
– Mange, tu en as grandement besoin.
Sa voix était étrangement rauque et ses mouvements un peu saccadés. Mon regard passa du plateau où se disputaient des plats au fumé alléchant à lui, perdue.
– Je... Je ne comprends pas, dis-je enfin, la voix éraillée. D'où vient ce festin ? Et que s'est-il passé ?
Cassius soupira et se laissa tomber sur le bord du lit. Il se passa une main sur le visage, visiblement éreinté.
– Tu nous as fait une belle frayeur la nuit dernière, expliqua-t-il finalement. Et ceci, indiqua-t-il en pointant du doigt la montagne de nourriture qui me faisait saliver, est un petit cadeau du chef Kingford. Beaucoup de personnes ont demandé après toi. Je crois bien que la moitié des marins de ce bateau ont frôlé la crise cardiaque en apprenant que tu avais faillis te noyer.
Je m'apprêtai à porter une part de tarte au fromage à mes lèvres quand je suspendis mon geste. Les images me revinrent par vagues. La tempête, ce chant qui avait envahi ma tête, cette voix qui m'appelait et finalement l'eau glacée dans laquelle je m'étais laissé couler. Un frisson me parcourut l'échine. Je jetai un regard nerveux par la fenêtre. D'épais nuages s'étendaient dans le ciel, nettement moins menaçant que ce que j'avais pu voir au cap ceci dit.
– Nous avons dépassé le cap, expliqua Cassius comme lisant dans mes pensées. Tu ne crains plus rien.
– Mais... je ne comprends pas, fis-je en me tournant vers lui, l'estomac noué. Que s'est-il passé ? D'où venait cette chanson ?
Cassius soupira.
– Tu te souviens, nous avions parlé de la magie qui imprégné le cap ?
– Le chagrin de Mérilia, me souvins-je. Mais quel rapport ?
– Eh bien, il arrive parfois que cette magie déteigne sur les gens au passage du cap. C'est en parti pour ça qu'il est aussi dangereux. C'est assez rare, en fait. Les personnes envoutées sont en général extrêmement sensibles, c'est la raison pour laquelle nous avions demandé à ce que tous les passagers restent enfermés. En général cela suffit pour protéger les âmes non initiées.
Il y eut un silence.
– Mais... il semblerait que tu sois beaucoup plus sensible que la plupart des gens. J'ignore si c'est lié à ton pouvoir de vision, mais il est évident que tu as été plus perméable que les autres à cette magie.
– Et les autres passagers ? demandai-je en croquant enfin dans ma part de tarte – mon estomac criait bien trop fort pour que mon inquiétude ne me coupe tout à fait l'appétit.
Il haussa des épaules.
– Il y a eu quelques crises de somnambulisme et beaucoup de chagrins, mais rien d'aussi spectaculaire que ce que tu nous as fait. On aurait presque dit que tu rejouais la scène de la légende. Tu as même chanté.
– Moi j'ai chanté ? fis-je ébahi.
Il opina, cueillant un raisin sur mon plateau.
– Il y avait longtemps que je n'avais pas entendu cette chanson, avoua-t-il en croquant le raisin. On aurait presque dit que l'esprit de Mérilia te possédait tout entière.
Je frissonnai. Et alors que j'allai croquer une nouvelle part de tarte, je sentis mon corps s'engourdir et mon précieux sésame m'échappa des mains pour s'écraser lamentablement dans mon assiette. Cassius me regarda batailler pour la porter à mes lèvres, l'air soucieux. J'avais encore l'impression de nager dans du coton.
– L'impression de somnolence devrait s'estomper d'ici quelques heures, quand nous serons assez loin de la tempête. Profites-en pour te reposer.
Et ce disant, il me prit le plateau d'autorité et me poussa à me rallonger. Dès l'instant où ma tête retrouva l'oreiller, je sentis mon esprit s'embrumer. J'étais vraiment épuisée.
– Tu vas rester avec moi ? demandai-je d'une voix pâteuse.
Cassius s'immobilisa, la main au-dessus de son livre abandonné avant de tourner un regard étrangement sombre sur moi.
– Tu... voudrais que je reste ?
– S'il te plait ?
Il pinça les lèvres avant de s'approcher prudemment. Il chassa une mèche qui me tombait sur le visage. Son geste était si léger que je le sentis à peine.
– Si tu veux.
J'eus un sourire.
– Cassius ? fis-je les paupières lourdes.
– Oui ?
Je pointais un doigt extraordinairement lourd vers la conque.
– Tu t'en es servi sur la tempête... n'est-ce pas ?
À travers ma vision brouillée par le sommeil, je le vis pincer les lèvres.
– Je ne pensais pas que tu serais si réceptive à la magie du cap, alors oui, je m'en suis servi. Je devais minimiser les effets de la tempête.
Tout mon corps me sembla s'alourdir.
– Merci, soupirai-je dans un sourire.
Et le sommeil m'emporta.
VOUS LISEZ
De Vague et d'Ecume
FantasiaAvec sa famille, Meredith embarque à bord de la Sirène, un ancien galion rénové en navire de croisière pour une traversée de l'océan de Typhon jusqu'aux Terres d'Amore. Mais ce qui devait être de simples vacances en famille vire bientôt au cauchemar...