Chapitre 4

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     La lune était déjà haute dans le ciel quand nous retrouvâmes la Sirène.

     Son pont était désert, seulement recouvert des quelques dernières paillettes, serpentins et confettis lancés lors de la fête par l'équipage.

     Acanthe somnolait sur mon épaule, épuisée par la soirée que nous venions de passer. Je souriais en songeant à l'émerveillement que j'avais pu lire dans son regard. À Ventis tout était plus calme, même les grands festivals. Il n'y avait jamais autant de musique, de danse et de couleur.

     Devant nos cabines, les jumelles nous souhaitèrent bonne nuit d'une voix ensommeillée. La fatigue les hantait tant que j'eus peur, en les voyant tanguer sur leurs pieds devant leur porte, de les entendre s'effondrer une fois à l'intérieur. Rowan s'endormirait certainement à même le sol – elle l'avait déjà fait une fois. Pour Esther, je n'étais pas sûre. Bien que la fatigue soit immense, je l'imaginais plutôt grogner et ramper pour rejoindre son lit.

     Après leur départ, je me tournai vers mes parents et leur souhaitai une bonne nuit. Ils nous offrirent un sourire alangui et vinrent nous embrasser Acanthe et moi.

     – Bonne nuit les filles, sourit-elle.

     – Bonne nuit maman. Bonne nuit papa.

     – Bonne nuit, me sourit ce dernier.

     Et ils se retirèrent.

     Avant de rentrer dans ma propre cabine, je jetai un dernier regard à mes parents. J'eus un sourire en voyant papa tenir la porte à maman. Ils semblaient si heureux, si amoureux. Exactement comme au premier jour.

     Je les enviais. Terriblement.

     Je finis par me détourner. Dans mes bras Acanthe commençait à se faire lourde et je devais encore l'aider à se changer et se débarbouiller. La vague avait beau nous avoir trempé, elle n'avait fait qu'étaler un peu plus le maquillage que les jumelles avaient insisté à me mettre. Avec nos têtes de déterrés, notre maquillage dégoulinant et nos costumes informes, j'avais l'impression d'être paré pour le Jour des Morts de Zaros.

     Un silence reposant régnait dans le petit salon de notre cabine. Au dehors, j'entendais à peine le clapotis de l'eau contre la coque du bateau. C'était doux et confortable, comme un cocon, une bulle en dehors du temps.

     Avec douceur je déposai Acanthe dans le rebord du lit et entrepris de la débarbouiller et de la changer. À peine sa tête rencontra-t-elle l'oreiller que ma petite sœur s'endormit, son doudou serré contre elle.

     Je tirai la couverture sur elle, puis rejoignis notre salle de bain.

     Plutôt exigüe, elle comportait tout de même une baignoire de bonne taille et un lavabo de céramique, le tout dans des tons pastel agréable.

     Devant le miroir, j'entrepris de retirer les couches de maquillage qui maculait mon visage. Paillettes, poudre et fard céruléen, tout disparu assez rapidement, pour mon plus grand soulagement. Je n'aimais pas ces artifices dont se barbouillait le visages les dames de la cour. Je ne comprenais pas même l'intérêt de se couvrir la peau d'autant de couleurs. Le naturel n'était-il pas mieux ? Le monde était si étrange...

     Je m'apprêtais à me changer quand mon regard s'arrêta sur mon reflet. Je passai une main songeuse dans mes cheveux. Je ressemblais si peu à mes parents qu'on aurait pu me croire adoptée. Plutôt qu'à une native des Terres de Zéphyr, je ressemblais à une fille de Nocturna avec mes cheveux longs et noirs. Seuls mes yeux gris rappelaient ceux de ma mère. Un gris un peu cendré, presque bleu sans jamais vraiment l'être. Le même que celui de mes sœurs.

     Je soupirai. Comme je les enviais... Avec leurs cheveux blond platine et leurs yeux si clairs, elles ressemblaient autant à maman qu'aux représentations des enfants de Zéphyr alors même que les jumelles n'étaient pas de son égide. Même papa, de l'égide de Thalie, ressemblais plus à un zéphyrien que moi.

     Je regardai encore un instant mon reflet, essayant vainement de comprendre pourquoi, par les Dieux, on m'avait fait si nocturnienne ? Ma Déesse de Naissance avait-elle autant influencé ma vie ? Nocturna m'avait déjà offert un don si étrange...

     Je posai un regard morne sur mes mains, serrai les lèvres. L'amertume me fit monter les larmes aux yeux. Qu'est-ce que je pouvais haïr ce don et tout ce qu'il impliquait !

     À l'autre bout de la cabine, j'entendis Acanthe remuer dans le lit. Aussitôt je m'essuyai les yeux, repoussai mes sombres pensées et me dépêchai de me préparer.

     Ma chemise de nuit enfilée et les cheveux tressés, je rejoignis la chambre. Debout dans l'encadrement de la porte, je regardais distraitement par le hublot. La lune était pleine ce soir. Son reflet ondulait sur l'eau calme du port. Il n'y avait pas un bruit en dehors du chuchotement du vent et des vagues. Tout Ysméria semblait s'être endormi.

     Mon regard se posa sur le lit. Je m'assombris. Je n'avais pas envie de dormir, pas envie de voir à nouveau ce que mon sommeil détraqué ne cessait de me montrer depuis des années. Acanthe dormait à point fermé, paisiblement. Je pouvais même voir le fantôme d'un sourire orner ses lèvres. De quoi rêvait-elle ? Se rejouait-elle la soirée avec plus de magie encore ?

     J'enviais tellement sa capacité à dormir. Simplement dormir. Je soupirai, me glissant le plus silencieusement dans les draps. Je repoussai une mèche qui lui courrait sur le nez.

     – Quelle chance tu as... murmurai-je tout bas.

     Lentement, mes paupières se firent plus lourdes. Et, avant de sombrer, je songeais que j'aurais aimer avoir un sommeil aussi léger et reposant que celui de ma sœur.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant