Chapitre 41

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     Nous étions toujours blottis l'un contre l'autre quand des éclats de voix se firent entendre au-dessus de nos têtes.

     Cassius et moi nous regardâmes, interloqués, avant de rejoindre la salle des cartes. Nous y découvrîmes le capitaine et tous ses officiers en grande conversation, une réunion d'urgence, compris-je rapidement. Ils arboraient tous une mine soucieuse qui ne me disait rien qui vaille.

     – Que se passe-t-il ? demanda Cassius en entrant dans la pièce.

     En me voyant, Marie-Morgane qui se tenait jusqu'à présent dans un coin en silence vint me rejoindre pour me prendre la main. Elle semblait anxieuse, plus tendue que lors de notre retour catastrophique. Et je compris vite pourquoi.

     – Nous faisons cape sur un brouillard épais, annonça lugubrement Oliver.

     – Et plus aucun instrument de bord ne fonctionne, ajouta sombrement Viktor.

     – Quoi ? s'inquiéta le demi-dieu.

     Miller, appuyé sur la grande table au centre de la pièce croisa les bras. Jamais encore je ne l'avais vu aussi tendu.

     – Nous avons découvert une avarie dans la timonerie, expliqua-t-il, plus rien ne fonctionne. Nous fonçons dans une tempête à l'aveugle.

     Cassius se mordit les lèvres.

     – Ce doit être un coup de Morbius, j'en suis certain.

     La timonerie... timonerie... cela me rappelait quelque chose, mais quoi ? Puis ça me revint et j'en eus des frissons. Je devais avoir pâlit car Marie-Morgane me serra un peu plus fort la main.

     – Meredith ? s'inquiéta-t-il à mon côté. Tout va bien ?

     Tous les regards se portèrent sur moi. J'avalai difficilement ma salive.

     – J'ai vu Hadrian, enfin, Morbius, près de la timonerie juste avant qu'il ne...

     Ma gorge se serra à ce souvenir. Je pouvais encore sentir l'odeur de son sang sur moi. Je secouai la tête et poursuivis.

     – Il traçait des symboles étranges sur la porte.

     Les officiers se lancèrent des regards encore plus anxieux. Cassius se passa une main sur le visage. Ils avaient tous l'air éreinté. Le capitaine se leva subitement de son siège et s'approcha de Cassius, la mine sombre.

     – Que devons-nous faire ?

     Cassius soupira.

     – Nous n'avons pas le choix, conclut-il. Il nous faudra bientôt affronter la plus effroyable tempête que vous n'ayez jamais connu, plus dangereuse encore que celles du cap de la Mort-Bleue.

     – Tu veux dire... blêmit Marie-Morgane.

     – Les Typhéides sont en chemin et Morbius compte bien les affronter.

     Le capitaine se frotta le menton avant de lancer ses ordres.

     – Hezekiah, les jumeaux, commencez par rappeler tous les passagers dans la grande salle du restaurant. Que tous les matelots se préparent à essuyer une grosse tempête, lança-t-il en se tournant vers Miller et Rufus. Et que les Dieux nous garde, soupira-t-il.

     Les officiers se dispersèrent au pas de course. Et alors que l'équipage se préparait, je suivis Cassius jusqu'à sa cabine où il se précipita. J'étais inquiète, terrifiée.

     – Que comptes-tu faire ? demandai-je en le voyant arracher son bandage.

     De l'horrible morsure il ne restait déjà plus que de fines traces en forme d'arc de cercle à peine visible. Cassius ramassa la première chemise qui lui passa sous la main et l'enfila en vitesse.

     – Ce que j'aurais dû faire il y a des siècles déjà.

     Il se tourna vers moi, le regard sévère.

     – Je vais détruire Morbius une bonne fois pour toute.

     Je le regardai, effarée.

     – Comment ? La dernière fois tu n'es parvenu qu'à l'endormir !

     Cassius coula un regard à sa conque, tranquillement posée sur le guéridon. Il serra les lèvres avant de s'en détourner. Je pâlis.

     – Tu ne comptes quand même pas te servir de ta voix ? Cassius ?

     – Je n'ai pas le choix.

     – Mais tu as dit que ça te tuerait !

     – Je sais ! 

     Le silence.

     Nous nous regardâmes longuement, sans bouger. J'avais les larmes aux yeux, la gorge nouée. Il serrait si fort les mâchoires que je pouvais voir ses muscles se contracter. Je finis par lui prendre la main.

     – Je t'en prie, reste avec moi... Ne m'abandonne pas à nouveau, je t'en supplie. Je ne veux pas te voir mourir toi aussi... je ne le supporterai pas...

     Je vis les yeux de Cassius briller de larmes avant qu'il ne m'attire contre lui pour me serrer dans ses bras. J'aurais voulu me perdre dans cette étreinte à jamais. Je m'accrochai à lui, je m'y accrochai de toutes mes forces.

      – Je n'en ai pas envie non plus, Meredith, murmura-t-il dans mon cou. Mais si donner ma vie te permet de vivre la tienne, alors je le ferai.

     Je le serrai plus fort, incapable de répondre à une chose pareille, parfaitement consciente de lui avoir dit la même chose quelques instants plus tôt. Mais je ne pouvais pas le lâcher, je ne voulais pas.

     À regret je le vis s'écarter, passant ses mains sur mes joues avec tendresse. Son sourire était si doux, son regard si aimant... C'était injuste, pourquoi lui ? Pourquoi ce devait être à lui de combattre ce monstre ? Pourquoi devait-il réparer les erreurs de son père ?

     – Tu ferais mieux de rejoindre ta famille.

     Il m'embrassa. Son baiser était tendre, léger, légèrement tremblant. Il avait peur. Moi aussi.

     – Je reviendrai bientôt.

     Cassius se détacha de moi. Il s'apprêtait à sortir quand je le retins. Il se retourna, surprit. Je plongeai mon regard dans le sien, sans ciller.

     – Je t'aime.

     Ses yeux pétillèrent et un sourire immense étira bientôt ses lèvres, le plus heureux, comblé que je ne lui avais jamais vu. Qu'est-ce que j'aurais voulu que la situation soit différente... Cassius porta ma main à ses lèvres.

     – Moi aussi, je t'aime.

     Et il disparut. 

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant