Chapitre 43

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     Ne perdant pas un instant de plus, Rufus souleva Marie-Morgane et fonça l'emporter à l'infirmerie le plus rapidement possible. Rendue seule au milieu des combats, je ne pus que la regarder disparaître dans les entrailles de la Sirène avant de me tourner vers Morbius.

     Je ne savais plus quoi faire. Le chaos faisait rage tout autour de moi. Les matelots se battaient vainement contre les assauts de Morbius alors que Cassius luttait pour l'éloigner du navire.

     Le ciel semblait déchiré en deux et, à tout instant, je m'attendais à voir la mer nous engloutir pour de bon dans son ventre tant les vagues se faisaient de plus en plus grandes et puissantes. Mais le pire, c'était que depuis que Marie-Morgane avait été blessée, Cassius était hors de contrôle. Fou de rage il s'était lancé dans un combat effroyable, arrachant, broyant les membres de la créature qui lui tombaient sous la main. En échange, le monstre le lacérait, le frappait.

     Je ne comptais plus le nombre de fois où mon souffle s'était coupé en voyant Cassius manquer de se faire aspirer par la gueule béante de Morbius. Combien de fois mon cœur avait cessé de battre en l'entendant hurler de douleur alors que le monstre enfonçait ses épines toujours plus violemment dans sa chair. J'ignorais même si le sortilège de Chronos pouvait le protéger d'une autre mort que la vieillesse. Et ça me terrifiait.

     L'image de ce combat me rappelait également la fresque de Pélage. Le ciel était tout aussi sombre, la mer aussi démontée. C'était comme se retrouver au milieu d'un combat de légende, mais où l'issue restait encore bien trop incertaine à mon goût.

     La Sirène et tous ceux sur le pont ployaient sous les vents qui s'élevaient à chaque fois que le demi-dieu ouvrait la bouche. Nous nous accrochions comme nous pouvions alors que le navire manquait de chavirait si souvent, certains marins se retrouvant projeté dans l'eau. Je ne les revis jamais percer la surface.

     En désespoir de cause, et ne sachant plus comment attirer l'attention de Cassius, je regardai de tout côté, le cerveau en ébullition. Il me fallait trouver une idée, et vite !

     Je finis par me tourner vers le grand-mât, encore courbé par le départ précipité de Cassius mais toujours debout. Le nid de pie à son sommet tenait encore et les cordages n'avaient pas lâché. Il fallait que je le tente. Une sourde détermination m'envahit alors. Je bandai rapidement l'entaille à mon bras, ramassai la conque et tentai d'attraper les cordages du grand mât qui se balançaient dans le vent.

     L'un des jumeaux me remarqua et me rejoignis en courant, repoussant avec son frère une épine qui passa bien trop près de moi à mon goût.

     – Qu'est-ce que tu fais ? me hurla-t-il par-dessus l'orage.

     Je n'aurais su dire lequel d'Oliver ou de Viktor il s'agissait, et très franchement à cet instant, je m'en fichais.

     Il y eut un coup de tonnerre, je le sentis résonner dans tout mon être.

     – Je dois prendre de la hauteur ! lui criai-je en retour. Aide-moi à grimper !

     Viktor – ou Oliver ? – hésita, son regard balayant le pont avec appréhension. Miller et le capitaine lui auraient sûrement ordonner de me ramener à l'abri, en particulier après que Marie-Morgane se soit fait blessée.

     – S'il te plait ! insistai-je désespérée.

     Il serra les lèvres. Je sentais la frustration le faire bouillir de l'intérieur. Puis, après une éternité, il céda et appela son frère. Ce dernier manqua de se faire embrocher avant de nous rejoindre et ensemble, ils m'aidèrent à grimper. J'escaladai ainsi le hauban jusqu'au nid-de-pie où je m'accrochai de toute mes forces, terrifiées à l'idée de tomber. Rowan serait sûrement fière de moi, songeai-je avec une pointe d'amusement. Elle qui adorait les hauteurs. En ce qui me concernais, j'étais surtout terrifiée à l'idée de tomber. J'étais si haut... J'imaginais sans mal la chute mortelle qui m'attendais au moindre faux pas et serrai plus fort ma prise sur les cordages qui m'entouraient. Tant pis si je me brûlais les doigts et les paumes, des mains abimées, ça n'était pas cher payé pour avoir la vie sauve ! Je regrettai déjà d'avoir eu cette idée folle. Mais c'était le seul moyen.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant