Chapitre 44

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     J'ai lu beaucoup de livre dans ma vie, beaucoup de romans d'aventure, des histoires épiques et fantastiques, le genre d'histoire de légende où les combats tournent au ralenti dans les esprits, offrants à notre esprit tout le temps d'imaginer le moindre petit détail de la scène spectaculaire à laquelle nous assistions. Eh bien, c'était exactement ce que je ressentais à cet instant. Sauf qu'il ne s'agissait pas d'un roman, ni d'une légende, mais de la réalité. Une réalité que je ne parvenais pas à accepter et que j'exécrais de plus en plus.

     Je ne parvenais pas à en croire mes yeux. C'était impossible, horrible, un autre cauchemar éveillé dans lequel j'avais l'impression de me noyer. Je ne sentais même pas les larmes dévaler mes joues ou le désespoir m'envahir. La panique m'avait complètement submergée, si bien que je me précipitai sur le gaillard d'arrière, prête à escalader le garde-corps pour sauter à l'eau et rejoindre Cassius à la nage s'il le fallait. Je ne pouvais pas l'abandonner, je ne pouvais pas le laisser derrière nous. J'avais déjà hurlé son nom si fort que ma gorge me brûlait, ma voix éraillée par mes larmes et mes sanglots se brisant un peu plus à chacun de mes appels.

     Mais au moment où j'enjambais la balustrade, des bras solides s'enroulèrent autour de ma taille pour me tirer en arrière. J'eus beau me débattre, hurler, pleurer, griffer et taper, la personne qui me retenait ne me lâcha pas. Je n'avais même pas conscience de qui il s'agissait et je m'en fichais. Tout ce qui comptait pour moi à cet instant, c'était Cassius coincée dans la gueule de ce monstre de Morbius, Cassius que je voulais à tout prix rejoindre et qui semblait s'éloigner de plus en plus.

     Mais, alors l'hystérie me gagnait pour de bon, rouant de coups l'homme dans mon dos, tout se figea, moi la première.

     Sur la Sirène, un silence religieux régnait, seulement troublé par le tonnerre et le bruit des vagues qui nous emportaient. À quelques kilomètres derrière nous, Morbius se tordait en tous sens, ses tentacules frappant autant sa propre chair que l'eau qui l'entourait. C'était comme si quelque chose tentait de s'enfuir de son ventre en créant en passage dans sa chair, exactement comme Morbius le faisait avec ses victimes.

     Et pendant une longue seconde l'espoir renaquit en moi. Cette douleur qui faisait rugir la bête, c'était forcément Cassius. Il se battait encore à l'intérieur du monstre, c'était obligé !

     Mais, alors que je m'imaginais déjà le retrouver bientôt, une vague immense s'éleva entre nous et la bête. En s'abattant, la lame emporta la Sirène à des lieues de la scène, en sûreté. Et alors que Morbius n'était réduit qu'à une tâche d'obscurité à l'horizon, nous vîmes sa silhouette éclater, son corps exploser de l'intérieur. Tout le monde sur la Sirène sursauta en voyant la chair de la créature se déchirer, voler en éclat, réduit à l'état d'une masse de cendre noire titanesque qui s'abattit sur l'océan, que le vent porta même jusqu'à nous.

     Puis vint le silence, lourd et inconfortable.

     Les nuages se turent, l'eau se figea. Autour du navire, les Typhéides avaient cessé de nager, regardant toutes dans la même direction. Tout était terminé, pourtant ça n'était pas le soulagement qui m'envahit. Et quand les bras me relâchèrent enfin, je ne pus que regarder l'endroit où s'était tenu Morbius, les yeux si grands ouverts qu'ils me firent mal. Mes jambes ne me portaient plus et je me laissai lentement tomber, choquée, perdue.

     Il n'y avait plus rien. Plus rien du tout.

     – Il a réussi... souffla une voix derrière moi, une voix que je mis une éternité à reconnaître comme celle de Miller.

     Et alors que la réalité me frappait enfin de toute sa violence, je fondis en larme.

     À l'aube du dernier jour du règne de Typhon, le ciel s'éclaircit enfin, laissant apparaître un ciel bien trop bleu à mon goût. Cassius avait disparu. Et j'en étais anéantie.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant