Chapitre 40

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     Cela faisait un moment maintenant que Marie-Morgane avait rejoint le capitaine. Assise près de Cassius, je le regardais dormir. Il respirait mieux, son teint avant reprit quelques couleurs et les cernes sous ses yeux semblaient s'être éclaircis. La fièvre avait aussi commencé à chuter, si bien que, assez rapidement, il ne me fut plus utile de lui éponger le front. Pourtant, et malgré le fait que son état s'améliore grandement, je ne parvenais pas à me réjouir.

     Trois siècle... n'arrêtai-je pas de penser.

     Je ne comprenais pas. Ou plutôt, j'avais peur de comprendre.

     Chronos ne se serait jamais mêlé des histoires de Typhon, ça n'était pas son genre. Le Dieu du Temps était réputé pour sa misanthropie, rares étaient les fois où il sortait même de son domaine. Alors figer la vie d'un mortel ? Un demi-dieu en plus ? Aucune chance qu'il l'ait fait de son propre chef. Ce qui ne laissait plus qu'une seule option, une option qui me faisait serrer les poings et monter les larmes. Car si Cassius était bien le seul à pouvoir combattre Morbius, s'il l'avait endormi une première fois mais qu'on craignait dès lors qu'il ne se réveil, alors cela voulait dire que Typhon avait demandé à Chronos de figer dans le temps la vie de son fils.

     Et, bien que je sois parfaitement consciente de ne pas avoir toutes les cartes en mains pour comprendre les tenants et aboutissants de cette histoire, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver de la haine pour le Dieu des Océans. Je lui en voulais pour ce qu'il avait fait subir à Cassius, pour toutes ces années qu'il avait passé seul.

     Trois siècle... Je comprenais mieux à présent ce sentiment de ne pas être à sa place. Je comprenais mieux la colère qui l'animait à l'égard de son père, l'orage qui grondait constamment au fond de ses yeux quand il les posait sur l'océan. Même ses paroles juste avant que Morbius ne m'emporte sous l'eau me parurent plus claires. Quelle tristesse...

     Je pris doucement sa main dans la mienne, en caressait les cals de ses paumes. De vrais mains de travailleurs, me dis-je avec un faible sourire. Combien d'années avait-il passé à tirer et nouer les cordes à bord d'un navire ? Il avait dû voir tant de choses, pleuré tant de monde... Quand avait-il réalisé que sa vie était figée, qu'il ne vieillirait jamais ?

     Perdue dans mes pensées, je me mis à fredonner, puis à chanter la comptine de Coral.

     – Quand les vagues se lèvent

Ton chant me revenait

Là sur cette triste plage

Où mon cœur t'attendait...

     C'était étrange. Cette comptine ne quittait plus mon esprit depuis Pélage. Sa mélancolie me parlait étrangement sans que je ne parvienne à comprendre pourquoi. Mais, même si j'aimais profondément cette chanson, elle ne me rassurait guère. Pourquoi mettait-il tant de temps à reprendre conscience ? Quand allait-il enfin ouvrir les yeux ?

     Trois siècles... Comment pouvait-on condamné son enfant à un tel sort sans même lui demander son avis ? Typhon était un monstre.

     – S'il vous plait... murmurai-je comme une prière en effleurant ses mèches blondes emmêlées. S'il vous plait, je vous en supplie... faite qu'il se réveille... faite qu'il me revienne...

     Le temps me semblait s'égrener avec une lenteur atroce, comme si Chronos en personne s'amusait à le faire passer un grain de sable après l'autre dans son sablier d'éternité, une seconde s'éternisant en des heures. Et ce silence... il était assourdissant malgré le bruit des vagues et les craquements de la Sirène.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant