Chapitre 14 (1/2)

38 11 6
                                    

      Le soir tombait et une bonne humeur générale avait envahie le navire. Papa et maman dansaient joyeusement ensemble dans les couloirs de la Sirène, fredonnant la chanson d'Isotta. Ils étaient magnifiques tous les deux. Peut-être un peu éméchés aussi.

     Il fallait dire qu'après le concert, l'alcool avait coulé à flot. J'aurais tendance à mettre ça sur le dos du capitaine. Vu le nombre de bouteilles vides que j'avais vu trainer sur sa table en sortant, je l'imaginais sans mal avoir dévalisé sa propre réserve. Y aurait-il seulement assez d'alcool pour toute la traversée ? Vu comme ils semblaient tous parti, j'en doutais. Et, au fond, ça n'était peut-être pas plus mal.

     Dans mes bras, Acanthe somnolait. Un sourire serein flottait sur ses lèvres. Elle aussi avait beaucoup aimé la chanson et je ne doutais pas qu'elle devait se rejouer la scène en s'endormant. Rêverait-elle d'Isotta ? Peut-être. J'étais curieuse de l'entendre me raconter demain.

     – Meredith !

     Je m'arrêtai devant la porte de ma cabine et jetai un regard en arrière. Resplendissante de joie, Marie-Morgane se précipitait vers moi, un large sourire aux lèvres.

     – Meredith, ça te dirait de rester un peu avec nous ce soir ?

     – Euh...

     – C'est une petite tradition entre nous, expliqua-t-elle rapidement. On se retrouve autour d'un feu de camp pour discuter et finir la soirée. Tu verras, ce sera génial !

     Je jetai un regard en arrière, consultant mes parents. Ma mère semblait ravie, mon père aussi. Alors je me tournai vers mon amie en souriant.

     – D'accord, laisse-moi juste...

     – Je vais m'occuper d'Acanthe, me coupa Esther en tendant les bras pour prendre notre cadette. Va t'amuser.

     Je n'eus même pas le temps de la remercier que Marie-Morgane me prenait la main pour m'entrainer derrière elle. En me retournant cependant, je vis les mines réjouies de toute ma famille. Et je ne pus m'empêcher de sourire.

     Sur le pont je découvris une bande de joyeux lurons jouant de la musique avec entrain alors qu'un matelot – que je reconnus tout de suite comme Murphy – chantait une vieille chanson de marin dont je ne comprenais pas la moitié des paroles. Une histoire de pirate aux pieds pourris, il me semblait.

     Murphy fut le premier à nous voir approcher. Il s'arrêta net de chanter et afficha un large sourire.

     – Et voici venir notre invitée d'honneur ! s'exclama-t-il alors que Marie-Morgane et moi prenions place sur les bancs qu'ils avaient déplacés.

     Je resserrai instinctivement mon châle autour de mes épaules, intimidée par tous ces regards posés sur moi.

     – Bonsoir, fis-je timidement.

     Et tous me sourirent avec bienveillance.

     Le feu de camp, comme l'avait appelé Marie-Morgane, s'avéra être un vieux réchaud de bronze crachant une jolie flamme dorée. C'était assez rustique, mais aussi très chaleureux et convivial. J'aimai tout de suite l'ambiance.

     Marie-Morgane me présenta donc officiellement à la petite troupe. J'avais bien sûr tout de suite reconnu les jumeaux navigateurs Viktor et Oliver Adler et le second Scott Miller qui se joignit à nous quelques instants plus tard. Murphy n'était plus à présenter, tout le monde le connaissait, il était le boute-en-train du navire. Une mascotte ? Possible. Cette pensée me fit sourire. Ce dernier me salua d'ailleurs en hottant un chapeau imaginaire, ce qui nous fit tous rire de plus belle.

    Je reconnus également le colosse de quartier-maitre, Rufus Forward – qui me pria de l'appeler par son prénom. De près, il semblait nettement moins effrayant. Et sa voix, quand il me salua, m'étonna par sa douceur. On était bien loin des ordres qu'il criait aux matelots.

     Puis vint l'opérateur radio, Hezekiah Hopperton qui semblait plus en forme malgré les cernes sous ses yeux. Un insomniaque pensais-je alors, et Marie-Morgane me le confirma. Bien qu'ils soient trois dans son équipe à se relayer pour la surveillance des ondes, Hezekiah était incapable de laisser ses collègues s'en occuper seuls. Pourquoi ? Tel était le mystère. Marie-Morgane prétendait qu'il devait avoir peur de rater un message important, comme un avis de tempête de dernière minute où l'appelle à l'aide d'un passager. Il s'était d'ailleurs avéré très patient avec ces derniers quand ils l'appelaient à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit pour des broutilles.

     – Une femme de première classe m'a demandé il n'y a pas quelques heures comment remplir sa baignoire pour prendre un bain, confessa-t-il plus tard. Je n'ai pas osé faire de commentaire.

     Et enfin les matelots Willie et Samuel, les plus proches amis de Murphy. J'appris d'ailleurs que Samuel préférait qu'on l'appelle Sam. Marie-Morgane me glissa à l'oreille que l'équipage adorait l'embêter en persistant à l'appeler par son prénom, ce qui le rendait franc fou.

     Quand les présentations furent terminées, les conversations reprirent de plus belle et j'en appris beaucoup sur tout le monde. Comme la passion de Rufus pour l'art délicat de la couture et du tricot ou l'amour inconditionnel d'Hezekiah pour le café au chocolat que lui préparait le chef. Willie et Samuel prirent plaisir à me raconter leur arrivée dans l'équipage. Garçons turbulents qu'on disait promis à la rue, ils avaient fini par se faire attraper par le capitaine Thaumas en train de fureter autour de son précédent navire. Ils avaient remarqué les belles marchandises qu'ils transportaient alors et avaient eu dans l'idée d'en voler un peu pour les revendre. Et avant même qu'ils ne le réalisent, ils étaient devenus mousse et leur avenir incertain prit une tout autre tournure. Ici avec le capitaine et son équipage, ils avaient trouvé bien plus qu'un emploi, mais une véritable famille.

     – Je crois bien que devenir marin a été la plus belle chose qu'il nous soit arrivé, avoua Willie avec nostalgie.

     – Ça et le fait que tu te sois enfin acoquiné avec une jolie demoiselle, ricana l'un des jumeaux.

     Willie devint écarlate alors que les navigateurs éclataient de rire.

     – Arrêtez un peu de l'embêter, les rabroua Marie-Morgane.

     – Lui au moins il a quelqu'un, s'amusa Miller. Je ne crois pas avoir vu aucun de vous s'acoquiné avec qui que ce soit.

     Les jumeaux se rembrunir, aussi rouge l'un que l'autre.

     – Gnagnagna... marmotta l'un d'eux.

     Tout le monde éclata de rire, moi comprise. 

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant