Chapitre 21

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     Les heures qui suivirent me parurent encore plus sombre en sachant la vérité.

     J'appris plus tard, comme bon nombre de passagers, que la malheureuse retrouvée sans vie dans sa cabine s'appelait Eliza Kidham, une jeune comtesse de Sablier dans les Terres de Chronos. Elle n'avait que vingt-sept ans.

     Selon Marie-Morgane, Eliza s'était engagée seule sur la croisière. Et je ne pouvais m'empêcher de me demander : à quel moment était-elle morte ? Si Morbius s'était servi de son enveloppe charnel, il devait l'avoir tué avant, alors, quand Eliza avait-elle laissé place à Morbius ? Et pourquoi avait-il soudain changé d'apparence ?

     Comme il leur était impossible de ramener le corps à la terre pour un enterrement dans les règles, il fut décidé qu'Eliza aurait droit à une cérémonie de marin.

     Le corps, emporté par le médecin de bord, fut nettoyé et habillé, rendant impossible à toute personne le regardant de se rendre compte de l'horreur que la victime avait vécu. Osborne avait d'ailleurs si bien fait son travail qu'on l'aurait pu croire simplement endormie. Un ruban avait été savamment placé autour de sa gorge arrachée tandis que la robe qui l'habillait camouflait parfaitement son abdomen éventré. Si les images de son corps mutilé n'avaient pas autant marqué mon esprit, j'aurais pu la voir tel qu'elle paraissait être, comme les autres passagers qui assistèrent à la veillée improvisée.

     Nous étions tous rassemblés sur le pont alors que les marins, entourant le cercueil de fortune – construit sur mesure par les charpentiers de la Sirène – entamaient un chant traditionnel pour la paix de l'âme d'Eliza. Et, après quelques mots du capitaine, le corps fut rendu à la mer.

     Après la cérémonie, je m'étais isolée, encore traumatisée par ce que je venais de voir. J'osais à peine penser à ce qu'Eliza avait dû vivre... Était-elle encore consciente quand Morbius l'avait décortiqué pour se glisser dans sa chair ? Avait-il pris son temps pour la tuer ?

     Incapable de rester plus longtemps dans ma cabine, je demandai à ma mère de garder Acanthe pour cette nuit. Je ne pensais pas pouvoir dormir et refusais de la laisser toute seule. Soucieuse en remarquant mon agitation, Maman accepta, non sans me poser quelques questions. Mais je ne me voyais pas lui dire la vérité, impossible. Alors j'affichai un sourire fatigué – rien de bien compliqué dans mon cas – et lui mentis éhontément.

     – Je ne me sens pas très bien, je voudrais prendre l'air sur le pont.

     – Bon... me répondit Maman. N'hésite pas à venir nous voir si ça ne va pas, hein ?

     Je lui souris faiblement et l'embrassai sur la joue.

     – Merci.

     Et je m'en allai.

     Sur le pont, je retrouvai mes amis et me joignis à eux.

     Ce soir-là autour du feu, il n'y eut ni chanson ni rire, juste un silence oppressant remplit de sinistres pensées. À côté de moi, Marie-Morgane semblait encore plus sombre. J'ignorais si le capitaine lui avait révélé la vérité quant à la véritable cause de la mort d'Eliza. Et je me demandais si je pouvais en parler, si les marins qui m'entouraient étaient dans la confidence comme semblaient l'être les officiers de bord. J'avais remarqué la tension qui les animaient depuis la découverte du corps, ils guettaient quelque chose.

     Dans les bras de Murphy, Marie-Morgane semblait éteinte, comme privée de cette étincelle qui l'animait d'ordinaire. Murphy aussi avait changé, plus sombre, moins d'humeur à faire de l'humour. J'avais entendu dire que c'était lui qui avait découvert le corps. Je l'avais vu tout raconté au capitaine : l'absence d'Eliza remarqué par quelques personnes, son silence quand l'opérateur radio appelait à sa cabine. Il avait décidé d'aller voir par lui-même et, quand il était tombé sur cette horreur, avait tout de suite prévenu le capitaine.

De Vague et d'EcumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant