Je vais être honnête. Moi, Barbara, vingt-quatre ans, j'ai toujours eu le béguin pour mon frère.
Étrange, bizarre, malsain ? Bon, oui, ce n'est pas vraiment mon frère. Je suis fille unique de parents séparés depuis l'âge de mes neuf ans. Mon père a fait sa crise de la quarantaine, bien avant le reste des autres pères. Ma mère ne lui aurait pas pardonné et serait partie. Mais c'est une version parmi tant d'autres. Quand vous êtes enfant, vous ne comprenez pas bien ce qui vous arrive. Vous êtes bien trop jeune selon les adultes et assez grande pour accepter que rien ne sera plus pareil.
On n'arrête pas de vous dire en boucle que tout ça ne vous concerne pas. Papa et Maman restent Papa et Maman. Ils ne sont plus amoureux mais leur amour pour vous ne change pas. Une bien étrange façon de vous réconforter ! Car malgré leurs promesses, j'ai bien senti l'avant et l'après. Dans cette tempête, Owen est apparu. Mais pour que vous compreniez pourquoi j'ai vu cette personne comme mon sauveur, j'ai besoin de vous parler un peu de ma vie.
La première année, j'étais un objet de chantage pour Gérald. Tiraillée entre mon père qui souhaitait voir ma mère revenir et ma mère qui voulait tourner la page définitivement, j'ai lamentablement raté mon année scolaire. Année blanche, retour à la case départ pour moi, redoublement obligatoire réclamé par ma génitrice comme si elle voulait effacer cette terrible année. Puis humiliation de mes fausses amies devenues les grandes de la cour. Et enfin, changement d'école devant mon échec cuisant de faire comme si de rien n'était.
Ma mère avait enfin obtenu ma garde exclusive et a déménagé dans la ville d'à côté.
Je me souviens avoir beaucoup, beaucoup, beaucoup trop pleuré.
Pourtant, ma nouvelle classe était plutôt sympa surtout le directeur Charly Demaisons, mon futur beau-père. Mais mon papa me manquait et ma mère fuyait tous les sujets de discussion portant sur lui.
Un jour, Owen est arrivé dans notre vie et malgré son corps décharné d'ado coincé entre l'enfant qu'il était et l'adulte qu'il deviendra, il avait une aura qui dépassait de loin tous les garçons que je connaissais. Ses cheveux sombres balayaient ses épaules et souvent formaient un rideau cachant son regard. Ses vêtements trop amples aux messages amoraux étaient une insulte même au métier d'éducateur de son père. De quatre ans mon aîné, il m'impressionnait et quand ses yeux verts, parfois, percutaient les miens, je ne savais jamais si je tremblais de peur ou de joie. Il évitait ma présence. Je n'étais qu'un parasite dans sa vie. Son objectif était clairement de mener la vie dure à son père. Lui aussi avait des parents divorcés et malgré son attitude de révolté, c'était lui qui avait demandé à vivre avec son père après avoir fugué une énième fois de chez sa "daronne".
Un jour que j'avais encore bien pleuré le manque de mon papa, j'étais descendue, les joues rouges et la respiration sifflante. Il faisait très chaud, j'étais épuisée et j'avais besoin d'un verre d'eau. J'ai surpris ma mère dans les bras de Charly. Il la réconfortait.
— Tu fais chier tout le monde, gamine.
Trop concentrée sur ce que je voyais, je ne l'avais pas entendu s'approcher de moi. Je ne m'étais même pas rendue compte de sa présence dans mon dos, jusqu'à ce qu'Owen susurre ces mots tout contre mon oreille. Son souffle sur ma peau me frigorifiait tout en me réchauffant. Son aura qu'il avait su si bien cacher m'entourait telle une ombre inquiétante et rassurante. C'est la première fois qu'il s'adressait à moi autrement que pour des échanges du quotidien.
— Tu sais. Personne n'a envie de vivre avec toi. Personne n'a envie de voir une petite fille larmoyante. Mais personne n'a envie de vivre avec moi non plus. On est dans la même galère, gamine alors soit tu grandis soit tu te casses. Va falloir choisir !
Bizarrement, c'est à partir de cet échange que nos relations se sont améliorées. Quand je pleurais seule dans mon lit, il rentrait dans ma chambre, se glissait sous les draps et me consolait jusqu'à ce que je m'endorme. Il ne semblait pas se lasser de la situation, lui qui m'avait demandé d'être plus mature. Il ne disait aucun mot. Parfois, il me glissait un de ses écouteurs. Le métal résonnait à fond, me rappelait que si j'étais triste, lui restait éternellement en colère. Évidemment en dehors de ces moments, il était devenu maître dans l'art de m'ignorer.
De loin, au collège, moi sur mon banc, lui dans la partie de la cour réservée au lycéen, je le voyais rire, séduire et embrasser sans se soucier de mon regard. J'aurais tellement aimé être à leur place, voir son bras entourer ma taille, ses yeux me fixant avec désir et fierté. Évidemment, à cette époque, je n'avais aucune chance. Notre différence d'âge, les conflits récurrents avec son père me rendaient invisibles.
Mes souvenirs me ramènent à cette époque. Oui, il y a bien eu des rapprochements lors de sa dernière année de lycée. J'ai cru qu'enfin j'existais. Mirage ou réalité, je ne le saurai jamais parce qu'après cela il a disparu des radars. Il est parti à la fac. Il passait ses fêtes de Noël avec sa mère, le premier de l'an avec ses potes. Il réalisait des stages ou partait avec ses amis en dans des endroits hyper cools pendant que je passais mes vacances en Normandie. La Normandie, c'est beau, c'est sympa mais ce ne sont pas les plages de surf de Lacanau, le soleil d'Ibiza. Tu m'étonnes qu'il ne nous accompagnait pas.
Et puis un jour, j'ai compris qu'un fantasme restait un fantasme. Je n'avais pas l'âme d'une belle au bois dormant. Je ne passerai pas ma vie à attendre. Girlpower ! Mais bon, aucun de mes petits copains n'était à la hauteur d'Owen. Ils n'étaient jamais assez bruns, assez bronzés. Leurs yeux étaient trop ternes, trop fades, trop vides. Il était évident que j'avais idéalisé mon demi-frère foutant ma vie sentimentale en l'air. L'image d'une mamie avec ses chats me hantait. Mon destin était tout tracé.
Et puis, j'ai été admise en Master de Management et gestion d'entreprises dans un IAE près de chez lui. Ma mère ayant peu de moyens, mon père devant gérer son futur mariage et son nouveau mioche - eh oui, je vais être grande sœur - Il y avait peu de solution. Charly a donc mis sa rancune de côté et a appelé son fils pour lui demander de m'héberger.
Et me voilà, bien décidée à vivre mon conte de fée. Parce que je le vaux bien. Eh oui, je manque d'originalité et je reprends des slogans entendus et réentendus depuis des décennies.
J'allais passer un an avec lui, voire deux, dans son appart, à vivre à nouveau auprès de lui. Je n'avais plus quatorze ans. Chacun de notre côté, nous étions devenus adultes. Et selon des sources fiables c'est à dire Charly, il était toujours célibataire, fraîchement sorti de ses études et nouvel avocat au barreau de Paris. N'était ce pas un signe ? Un signe qu'il n'avait pas trouvé son âme sœur ou que peut-être, il l'avait laissée auprès de sa famille en partant pour la capitale.
Sur le seuil de son appartement, je me redresse. Pleine d'espoir, je tourne la clé dans la serrure. Je vais enfin entrer dans son antre. J'aurai le temps de prendre mes marques, de visiter son appartement et même de lui préparer un petit festin pour fêter nos retrouvailles. Il travaille jusqu'à dix-neuf heures. Mais avant même de pousser le panneau, la porte pivote et je vois apparaître un homme immense au visage d'ange et aux yeux océans. Son sourire me percute. Comment ai-je pu me tromper ? Chez qui suis-je rentrée ?
— Bienvenue Barbara ! Je suis Théo, l'ami d'Owen, ton nouveau beau-frère, dit-il avec la joie d'une personne qui a gagné au loto alors que tout mon sang vient de quitter mon corps.

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Emprises
RomanceEnfant, Barbara a vécu difficilement le divorce de ses parents. Dans cette tempête émotionnelle, elle fait la rencontre de son demi-frère Owen. Si devant leurs parents, il est froid, hautain et n'hésite pas à l'humilier. A l'ombre des regards, il de...