9- La coulée verte

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Je n'ai pas dormi de la nuit. Sa présence était pire qu'un café serré pris sur le tard. J'avais peur de bouger, de le réveiller, de ronfler et même pire de parler dans mon sommeil. Les aveux inconscients, je connais. J'ai perdu mon ex à cause de ça. Je confirme que la coupe de cheveux n'avait été qu'un prétexte, un petit reproche dans une dispute plus importante.

Ce traite de sommeil m'a eue et je m'en rends compte uniquement quand mes yeux s'ouvrent sur ce lit vide et froid de son absence. Le réveil matin m'informe qu'il est déjà onze heures. L'appartement m'abrutit de son silence. Il est plus que temps pour moi de quitter la chambre. Théo ne doit pas me surprendre ici. Il est clair maintenant qu'il est envieux, jaloux de notre relation mais qui pourrait le blâmer ? Owen n'agit pourtant pas différemment d'avant. Il a toujours été très protecteur envers moi.

Je me faufile hors de la pièce. Personne. J'entre dans ma chambre. Torse nu, le drap le couvrant à peine, Théo dort en étoile sur mon lit. La pièce empeste l'alcool et l'herbe. Il a osé fumer dans ma chambre. Nous aurons une discussion plus tard à ce sujet. Je prends rapidement mes affaires. Hors de question de me changer dans la même pièce que lui. Je ne lui fais absolument pas confiance. Il serait capable de se moquer de mon corps et de me dire ensuite que c'est pour mon bien. Je récupère le cendrier plein. Au moins, il n'a pas foutu en l'air mon parquet avec ses mégots. Je jette dans la poubelle de la cuisine les traces de sa déchéance en tentant de les cacher par d'autres détritus sans vraiment savoir pourquoi je le fais. En me lavant les mains, je prends la décision de ne rien dire à Owen. Un join trouvé de temps en temps, ne veut pas dire que son copain se drogue mais n'ayant jamais parlé d'addictions avec mon demi-frère, je préfère passer mon tour. Je suis lâche mais j'assume. Je veux moi-aussi protéger Owen. Après tout, nous sommes une famille.

Quand on parle du loup, ce dernier entre dans l'appartement luisant de sueur mais à peine essoufflé. Il me sourit et je fonds. Sa tenue de sport souligne ses longues jambes. Ses abdos bien dessinés transparaissent sous le tissu humide. Je le croquerai bien pour mon petit déj, effaçant ainsi toutes mes bonnes résolutions au sujet de mon régime affectif. Une image fugace de ma bouche contre son torse nu s'imprime dans mon cerveau, réminiscence d'un souvenir ou d'un rêve érotique. Fantasme ou réalité ? D'où me vient cette image ? Je ne m'en souviens pas.

Son visage est apaisé sous l'effet du sport. Je ne savais même pas qu'il courait. Je pensais que seul Théo était sportif. Ses muscles saillants me confirment le contraire. Où trouve-t-il le temps de s'occuper de lui ? Cela fait un mois que nous vivons ensemble et je le découvre un peu plus chaque jour.

— Super, tu es réveillée. Laisse-moi le temps de prendre ma douche et on y va.

— On va où ? lui demandé-je intrigué tout en continuant à glisser mon regard sur son corps de rêve.

Rapidement, il ôte son haut et ma mâchoire se décroche. C'est sûr. Aucun doute possible, j'ai déjà vu son torse nu il y a deux jours et j'étais complètement déchirée dans le salon. Le beau brun n'était pas un rêve. C'était lui et malheureusement d'autres souvenirs s'immiscent dans mon esprit de débauchée. Je nous vois dans les toilettes puis dans la salle de bain. Pour le reste, le trou noir demeure. La porte reste bien scellée et refuse de s'ouvrir. Que s'est-il passé entre la salle de bain et mon réveil ? Ai-je vraiment embrassé son torse ?

— Tu vas t'en remettre ? se marre-t-il en se méprenant sur ma réaction.

— Je ne me rappellais pas...bafouillé-je.

— Que j'étais sportif, finit-il pour moi. Et j'ai l'impression que ça te plaît.

— T'es con, dis-je en me redressant, comprenant qu'il était à mille lieux de mes pensées.

Enfin à milles lieux pas tant que ça. Tiens ! Je n'avais pas noté que je m'étais rapprochée de lui et qu'une de mes mains avait pris la liberté de s'avancer vers son torse imberbe. Son sourire ne quitte pas ses lèvres et je recule brusquement me cognant contre le rebord de l'îlot émettant un cri de douleur.

— Ne t'inquiète pas ! J'arrête le strip-tease. Je n'ai pas tes talents en la matière. Cela te permettra-t-il de reprendre tes esprits ?

— Tu es mon frère, dis-je en rougissant. Tu dis vraiment n'importe quoi.

— Demi-frère, souligne-t-il en me déposant un baiser sur le front. Nous deux, ça ne rentre pas dans un inceste, me souffle-t-il à l'oreille. Ne l'oublie pas, Barbara !

Puis il me laisse,m'abandonnant dans un état de grande confusion sur ce constat. J'entends la pluie tombée dans la cabine de douche et j'image les perles d'eau glisser sur son corps, là où je rêverai que mes mains le frôlent, le touchent, l'empoignent. Un grognement d'ours mal réveillé me ramène à ma dure réalité.

Derrière la porte, j'entends Théo s'agiter. Mon souffle s'arrête. Le silence répond aux battements de mon cœur. L'aigle s'est rendormi mais pour combien de temps.

Au fond de moi et pour être honnête, si Owen ne m'avait pas demandé de l'attendre, je serais déjà partie ou plutôt, je me serai déjà enfuie. L'idée de croiser le copain de mon frère me noue le ventre. Je n'ai aucun doute sur sa mauvaise humeur matinale et même le corps humide et à demi-nu d'Owen qui traverse le couloir pour entrer dans sa chambre ne m'enlève pas cette envie de me sauver. Si mon demi-frère n'était pas là à m'héberger gentiment, je serai déjà en pleine recherche d'un logement. Certes, ce serait plus petit, beaucoup plus petit mais je pourrai respirer loin de cet homme.

Quand enfin nous sommes prêts, nous quittons l'appartement et je pousse un gros soupir de soulagement dans l'ascenseur. Je ne sais pas pourquoi je surréagis face au mec d'Owen. Je suis une petite fille maladroite à ses côtés. Je ne sais jamais quand et quoi lui répondre. Ce grand blond empoigne ma fragilité, me sort de ma zone de confort et appuie là où cela fait mal. J'ai cette impression de ne jamais être à la hauteur de ses attentes et ce, quoique je fasse.

— Cache ta joie de passer du temps avec moi ! grogne Owen à mes côtés.

Mon rayon de soleil se méprend sur mes pensées. Je lui souris pour le rassurer. Passer du temps avec lui est toujours un vrai plaisir, même un peu trop. Instinctivement, je m'approche de lui et sur la pointe des pieds, je lui dépose un léger baiser sur sa joue fraîchement rasée à l'odeur mentholée. Il est le seul avec qui j'arrive à être aussi tactile sans ressentir cette peur d'être rejeté ou blessé. Si Théo réveille ma fragilité, Owen me rend plus forte. Il a ce don. Auprès de lui, je me sens entendue, écoutée et même aimée. Il se détend et sa main chaude encercle la mienne. Les portes s'ouvrent sur le hall d'entrée et tout joyeux, il m'annonce.

— Aujourd'hui, c'est moi qui te fais découvrir Paris. Cette nuit, je me suis rendu compte que j'avais failli à mes devoirs d'hôte.

Je n'ose pas lui dire que mes pieds me font atrocement souffrir et que mon manque de sommeil provoque un début de migraine. J'aurai même dû prendre mes lunettes. Je n'en ai besoin que pour travailler sur écran mais elles m'auraient été utiles aujourd'hui. Il a l'air tellement heureux que je tais mes petits soucis en priant que nous ne marchions pas trop. En plus, il est trop mignon dans sa veste noire qui met ses yeux verts en valeur. En l'observant, loin de ses costumes d'avocat, il fait plus jeune que son âge.

— Je vais te faire découvrir la coulée verte. C'est une promenade qui traverse tout le XII -ème arrondissement. Tu vas adorer.

Aie ! Çà, c'est pas bon pour mes pieds.

— Mais avant, je t'emmène bruncher. Tu vas adorer, m'annonce-t-il gaiement.

EmprisesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant