10- Double face

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A peine entrés dans l'appartement, Théo s'avance vers Owen d'un pas rapide. Indifférent, ce dernier l'esquive et se dirige vers le frigo tout en me proposant une bière. Je préfère un grand verre d'eau. Portant le goulot à sa bouche, un petit sourire amusé fend sa jolie bouche. La soirée de jeudi soir m'a vaccinée , en tous cas pour quelques semaines sur ma consommation d'alcool. Je hausse les épaules indiquant ainsi qu'il peut bien se moquer de moi. Je ne changerai pas d'avis.

Énervé par notre indifférence vis-à -vis de lui, Théo se positionne entre nous. Je ne vois plus mon demi-frère mais le dos imposant et effrayant de l'aigle. Je frissonne. J'ai terriblement envie d'intervenir et d'aider Owen. C'est un peu ma faute toute cette tension.

S'il ne s'était pas occupé de moi toute la journée, ils se seraient déjà réconciliés sur l'oreiller. C'est leur manière de fonctionner. Enfin, je crois. Ils se disputent de plus en plus ces derniers temps et je ne connais pas toujours les raisons de leurs divergences. Parfois, j'en suis l'objet. Je le sais. J'entends mon prénom à travers le mur. Et d'autres fois, c'est d'autres noms que j'entends.

J'ai l'impression de revivre mon enfance quand ma mère accusait mon père d'être trop copain-copain avec moi et mon père lui rétorquait qu'elle était bien trop exigeante avec sa fille, qu'elle devait me laisser respirer.

Je ne sais pas trop ce que me reproche Théo et si j'étais courageuse, j'irai lui demander mais je ne me résous pas à l'affronter. Comme souvent, je laisse Owen s'en charger.

Notre relation n'évolue pas. Hormis le premier jour où il semblait ravi de me rencontrer, il ne cesse de me regarder de travers, de pister les moindres erreurs, de me faire des cadeaux empoisonnés comme l'inscription dans sa salle de sport.

— Tu aurais pu répondre à mes appels, lui reproche Théo.

— Je suis libre, rétorque-t-il. Tu dois arrêter de vouloir tout contrôler.

— Tout contrôler. C'est toi qui me dis ça, tu déconnes, j'espère.

— Tu voulais que je reste et que je te regarde cuver, ironise-t-il. Désolé ! J'ai déjà donné avec Barbara vendredi matin. Mon quota est rempli.

Soudain, un sentiment de culpabilité m'envahit et je veux me faire toute petite.

— Si vous ne tenez pas l'alcool tous les deux, ce n'est pas ma faute mais arrangez-vous que ce ne soit pas le même week-end ! s'énerve mon demi-frère. Et puis, Barbara est marrante quand elle a bu. C'est loin d'être ton cas.

— Tu aurais voulu que je te fasse un strip-tease.

— Pourquoi pas ? se marre-t-il pendant que des fourmis envahissent mon cou et que ma température monte.

— Désolé mais c'est bien d'autre chose que moi, j'avais envie. Comme par exemple, avoir un mec qui ne danse pas avec son ex en me laissant seul dans mon coin comme le roi des cocus.

La conversation glisse. Le plus silencieusement possible, je tente de m'éclipser dans ma chambre mais finalement, je change complètement d'avis, récupère doucement mon sac et me dirige vers la porte. J'appellerai Léonie dans l'ascenseur. A l'heure qu'il est, elle doit être rentrer. Je dormirai peut-être chez elle le temps que les deux amoureux décident de s'étriper ou de s'aimer. Dans les deux cas, ma présence n'est pas souhaitable. Une voix forte et sévère interrompt ma discrète sortie.

— Bébé, où vas-tu ?

Son ton froid et ses yeux noirs me prennent à revers et contrecarrent le surnom affectif qu'il me donne. D'un geste de la main, je lui indique la porte en leur signifiant que je leur laisse de l'intimité pour gérer leur querelle.

— Comment veux-tu que je sois tranquille si tu passes ton temps à fuir ? s'agace-t-il.

— Ce n'est plus une gamine, contre Théo qui pour la première fois depuis bien longtemps me vient en aide.

— C'est ma petite sœur et je suis responsable d'elle. Ça Théo, tu ne peux pas le comprendre. D'ailleurs, elle est où ta famille ? demande-t-il avec un rictus au coin des lèvres et en croisant ses deux bras sur son torse.

— C'est un coup bas, répond Théo la voix tremblante. Tu n'as pas le droit...

Il semble soudain avoir perdu plusieurs centimètres. L'aigle a disparu et je fais face à un oisillon. Owen a frappé là où ça fait mal. Théo parle peu de lui. En réalité, je ne connais rien de lui. Il travaille dans la communication mais quel est le nom de sa boite ? Je ne sais pas s'il a des frères et sœurs. Où est-il né ? De lui, la seule chose qu'il m'a livré est d'être le copain d'Owen comme si c'était la seule définition de sa personne. Ah et aussi, son penchant pour le sport les lendemains de cuite.

— Le droit alors avec toi, je n'ai que des devoirs et aucun droit.

Je ne peux plus m'échapper et assiste impuissante à leurs affrontements. Un affrontement inégal puisque Théo s'est soudain recroquevillé sur lui, les bras croisés et le regard fixé au sol.

— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, Owen, s'excuse penaud mon aiglon.

Soudain, mon frère s'approche de moi, prend mon sac à main.

— Vous m'énervez sérieusement tous les deux.

Je le vois entrer dans sa chambre avec mon bien. Je ne peux plus partir. Mes clés, ma carte de bus, mon argent et mes papiers, tout est dans mon sac. C'en est presque du kidnapping. Mais qu'arrive-t-il à Owen ? On avait passé une si bonne journée ensemble.

Mon regard tombe sur Théo toujours proscrit dans son malaise. C'est plus fort que moi, je m'approche de lui et le serre dans mes bras. Il sursaute, tente un geste en arrière et découvre que ce n'est que moi. Je m'attends à ce qu'il me rejette mais il revient vers moi. Les bras ballants, il ne me retourne pas mon geste mais ne le refuse plus et je l'enlace à nouveau. Je déteste laisser quelqu'un souffrir. Et même si ce quelqu'un m'en a fait baver.

Je comprends qu'Owen vient de le blesser profondément. Pourquoi l'a-t-il attaqué de cette manière ? Que s'est-il passé hier soir pour que les deux hommes en arrivent à s'affronter ? Quel problème Théo entretient avec sa famille ? L'ont-ils rejeté ?

Dans la chambre, incrédule, j'entends Owen siffloter. L'orage est passé laissant son mec ravagé. Était-ce bien nécessaire toutes cette testostérone ?

— Tu veux que je te fasse des crêpes ? murmuré-je.

Dans mes cheveux, je le sens rire doucement.

— Avec du chocolat, continué-je titillant sa gourmandise qu'il tente de me cacher depuis des semaines.

Son rire se fait moins discret.

— Et de la chantilly, dis-je brisant définitivement ses dernières barrières.

Son corps se redresse et il me prend soudain dans ses bras. Je relève la tête. Il existe encore des nuages dans ses yeux bleus. Pourtant, je crois que nous venons de faire la paix. C'est un sentiment bizarre. Pourquoi ne lui ai-je pas fait des crêpes plus tôt ?

— Et des morceaux de noisettes, complète-t-il.

— Et des morceaux de noisettes, accepté-je.

J'enfile mon tablier rose girly où en jolies lettres est inscrit :« On ne peut pas faire de cuisine si l'on n'aime pas les gens. » Théo caresse la citation du bout des doigts et son visage se détend. Puis, il se recule et m'apporte tous les ingrédients sans que je ne lui en fasse la liste. A mon étonnement, lui que je n'ai jamais vu en cuisine, connaît la recette par cœur. C'est plus fort que moi, je prends une poignée de farine et lui jette à la figure pour m'avoir menti tout ce temps sur ses aptitudes de chef cuisto. Il fronce les sourcils. Je crois que j'ai été légèrement trop loin. On a enterré la hache de guerre mais ça ne peut pas être aussi simple. Son corps menaçant s'approche de moi et je ferme les yeux de peur.

XXX

Comprends-tu la réaction de Barbara ? Elle déteste les affrontements. 

Owen et Théo se disputent pour la première fois devant vous. Qu'en as tu pensé ?

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