2. Le cœur d'un frère

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Enfin, la soirée se termine et je m'allonge sur le lit les laissant seuls. Je ne suis pas vraiment fatiguée, mais j'avais besoin de m'éloigner d'eux, surtout de lui. Des années à fantasmer sur Owen, à croire qu'il attendait patiemment que je sois prête pour enfin découvrir que ses beaux yeux verts ne brillaient pas pour moi mais pour un homme. Il va me falloir du temps pour le digérer. L'accepter, c'est déjà fait, car je l'aime tant que je ne veux que son bonheur, que ce soit dans mes bras ou dans ceux d'un autre. Peut-être aurais-je eu plus de mal si Théo était Théa, une fille extra canon.

C'est beau comme nous savons parfaitement nous mentir à nous-mêmes. Homme ou femme, mon cœur souffre et déverse sa lave sur le reste de mon corps. Alors que j'avais l'impression d'être courbaturée, emportée au fond d'un océan de feu et de douleurs, devant eux, j'ai souri, parlé. Je sais bien le faire : taire mes sentiments et porter le masque de la fille cool en toute occasion. Depuis mon plus jeune âge, je connais ce rôle sur le bout des doigts, il est devenu ma carapace.

Mais, au fond, je suis déçue qu'Owen n'ait rien vu. De tous ceux que je connais, il est le seul à débusquer mes mensonges, mes failles, cependant nous ne sommes plus aussi proches qu'avant. Il est temps pour moi de passer à autre chose mais je me laisse encore le temps de le pleurer un peu, de le pleurer doucement pour qu'il ne m'entende pas à travers le mur, qu'il ne s'inquiète pas. C'est inutile. Ça passera. Tout passe.

Je les entends rire. Leur amour fait trembler mes derniers remparts. Je suis pathétique. J'ai l'impression d'avoir quinze ans et de me retrouver le jour où mon premier vrai petit copain m'avait larguée. La terre avait continué à tourner et j'avais chuté seule dans un monde de souffrance. A l'époque, mon cœur faisait ses premières classes, ses premières erreurs d'appréciation, de jugement. Il compensait le départ d'Owen. Il avait confondu béguin et véritable sentiment. Un baiser échangé dans une cour de récré pour faire la grande, imiter les adultes, ressembler à ses copines, ce n'était pas de l'amour, juste un rite d'initiation.

Quel dommage ! Ces moments si uniques, je les ai bradés pour faire comme si. J'aurais vraiment aimé embrasser un garçon qui compte pour moi, un garçon comme Owen, même s'il était déjà loin de moi à cette époque.

Sa vie est ici maintenant et elle est différente de ce que j'imaginais. Je l'avais attendu telle une princesse dans sa tour d'ivoire. Il avait préféré les chevaliers délaissant toutes les princesses du monde. Je dois faire le deuil. Mais, bon sang, ça me tord le ventre !

Je reste les yeux humides dans la pénombre, sous la couette épaisse et réconfortante, la tête enfouie dans l'oreiller. Je me terre.

Soudain, la porte s'entrouvre et je vois son ombre se dessiner. Ses un mètre quatre-vingt-six s'avancent vers moi après avoir fermé doucement derrière lui pour ne pas briser un hypothétique sommeil. Silencieux, il attend, guette un signal et je ne sais pas comment réagir.

— Tu dors ? murmure-t-il.

Non, je viens de me réveiller de mes seize ans de fantasmes. Jamais je ne lui avouerai, alors je bouge, mal à l'aise dans le lit. M'a-t-il entendu ? Sûrement, puisqu'il se faufile sous les draps et caresse ma joue encore humide. Pourquoi n'ai-je pas pris le temps de l'essuyer ? L'odeur de son gel douche embaume mon lit.

— Toujours aussi peur des premiers jours d'école , me dit-il en me prenant dans ses bras.

Au moins, il se souvient de ça : j'ai une phobie des rentrées scolaires depuis mon CP. Dans mon cas, il ne faut pas être un psy pour en comprendre la raison.

Mais il s'en rappelle et cela me touche. Son corps, à quelques centimètres de moi, me fait rougir. Heureusement, la pénombre cache le trouble de sa présence. Sa main laissée sur ma joue ne comprend que ma peur de l'avenir, du changement, mes incertitudes, mes doutes. Elle ne voit pas le deuil que je m'apprête à commencer. Je reste immobile. Si je le touche, je flanche. Je lui en demanderai plus et je le perdrai. Le reflet de ses yeux cherche mon regard fuyant.

EmprisesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant