Chapitre 2 : Interdit ?

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Il est légèrement courbé, la main tendue vers moi, attendant que la mienne s'y dépose, en signe d'approbation à son invitation. Son masque lui couvre tout le visage, ne me laissant pas le luxe de vérifier si je le connais ou non.

Une chose est cependant sûre : Je suis chamboulée. Sa carrure laisse penser qu'il est très bel homme. Ses cheveux sont d'un brun chocolat noir. Ma bonne résolution de ne pas me laisser envoûter par les bras d'une personne ce soir me quitte sans préavis. Il est toujours courbé, imperturbable.

- Ce serait un honneur pour moi mon seigneur, gloussé-je en tentant de cacher le rouge qui me monte aux joues.

Je me sens tellement débile de déglutir aussi soudainement, mais quand il se relève, me prend par la taille et me serre contre lui, ce sentiment de gêne disparait aussitôt. Il ramène sa cape en arrière et je mets ma main sur son épaule. Nos deux autres membres libres se joignent par la paume. Le slow de la salle de mariage nous atteint et intensifie le moment. On valse, sans tenir compte de l'endroit, ni de la personne derrière le masque, à l'abri des regards humains, sous l'œil attentif de la lune.

En plus, j'ai affaire à un danseur hors-pair...

- Savez-vous qui est sous ce masque ? lui demandé-je, curieuse.

- Son altesse Uméïra, qui pour moi n'est autre que la belle Uméïra d'Heldor.

Donc il me connait ? Déjà intéressant.

- Nous sommes-nous déjà rencontrés ? creusé-je davantage.

- Le passé m'importe peu quand mon présent est avec vous, glisse-t-il près de mon oreille.

Ses phrases me touchent au plus profond de moi-même, et me déstabilisent. Quel beau parleur il fait ! J'aimerais vraiment savoir de qui il s'agit.

- Et comment puis-je vous reconnaître mon seigneur ?

- Ses yeux bleus n'ont d'yeux que pour vous, et il n'est que vanité face à votre beauté.

Je déglutis, ensorcelée par autant de mots doux. Il a les yeux bleus, les cheveux de couleur chocolat noir, et une voix rauque. C'est déjà un grand pas.

- Vous revoir ajouterait à mon charme jusque-là absent mon seigneur.

- Ne méprisez pas votre envoûtante beauté, Uméïra. Parce qu'elle hante mes pensées.

Presque personne ne m'appelle par mon prénom sans ajouter de titre. Et cette attention me fait un drôle d'effet. Nous continuons de tournoyer dans le jardin d'Utopia, dans notre bulle. J'en oublie la soirée, Maya, mes propres soucis, mes angoisses, mes peurs, et même, mon futur mariage...

À la fin de la danse, il me redresse, et nous restons l'un contre l'autre. Son vêtement royal est magnifique, digne d'un prince. Ou d'un duc. Ou d'un comte. Je ne sais même plus. J'essaie de déchiffrer du mieux que je peux cet être mystérieux. Mais la concentration ne peut pas y être quand vous sentez quelqu'un fixer vos lèvres. Mon masque s'arrête juste au-dessus de mon nez et laisse apparaître ma bouche rosie par Deva et par l'adrénaline. Mon coeur bat au rythme du sien. Une force incompréhensible me pousse à désirer les lèvres viriles de cet homme. Je les veux sur les miennes. Mais je résiste. Je n'en ai pas le droit.

Mais quand il remonte son masque et m'embrasse avec ferveur, ma poitrine se gonfle de bonheur. Je savoure son baiser, mais tremble de peur. Je me surprend à vouloir mourir sous ses caresses. J'ai chaud. J'adore cette sensation. Mais j'ai toujours peur.

Ce qu'on vient de faire, c'est enfreindre la morale royale : Je ne serai plus pure pour mon mari, une honte pour toute la dynastie. Mais je n'ai ni la force, ni l'envie de le repousser. Finalement, il se détache de moi et il scrute mon iris avec un regard perçant. Puis sans préavis, il me libère de son étreinte et se retire en silence.

- Vous...vous partez déjà ?

Il revient sur ses pas et retire sa chevalière.

- Gardez-la, en signe de mon amour, me dit-il. Mieux vaut que nous, ainsi que cette passion qui nous lie, restions discrets pour le moment.

Je tends ma main et il fait pénétrer la chevalière à mon majeur droit. Puis il retourne à l'entrée du palais. De loin, je le vois sauter sur un cheval et s'effacer dans la pénombre. Je viens de vivre tout ce que je pensais être trop ridicule pour la fille originale que je voulais être : un instant purement princier, magique, digne des plus beaux mythes. Je reste arrêtée là, mes yeux défilant de la bague à la route qu'il a prise, et ainsi de suite. Mes joues sont en feu, et je ne peux pas m'empêcher de penser et repenser à ce baiser. Ça me rappelle d'ailleurs que personne ne doit en être informé si je ne veux pas subir la punition de la loi. Et c'est peut-être cette peur qui a rendu ce moment aussi incroyable.

- Votre Altesse ?

Je sursaute, et me retournant, je vois Nikita, ma servante, arrêtée sur l'esplanade de la cour extérieure.

- Oui Nikita ?

- Vous êtes demandée par sa Majesté le roi d'Heldor, me dit-elle.

Pour ceux qui aiment quand la vie est simple comme moi, elle parle de papa. Je souffle bruyamment, rassurée que l'inconnu soit parti juste à temps.

- Bien Nikita.

- Longue vie à vous princesse, ajoute-elle en me faisant une révérence.

Elle disparaît et je replonge dans mes pensées remplies de cet homme. Il me connaît, mais pas moi. Mais je sais qu'on se retrouvera. Je suis prête à remuer ciel et terre pour revoir cet homme qui a réussi en un seul soir à bouleverser mon être. À revoir celui qui, pour la première fois dans ma vie, dans l'illégalité totale, m'a embrassée.

Oui, je veux le revoir, mon inconnu...

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M'accorderez-Vous Cette Danse ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant