Chapitre 20 : Intuition

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Pourquoi ?

Pourquoi tout cela n'arrive qu'à moi seule ?

Pourquoi tout ceux à qui je tiens le plus s'en vont les uns après les autres ?

Affublée d'angoisse, plus aucune de mes larmes ne coulent. Je me sens vide, perdue. Tout me parait superficiel, étranger. Je vide des alentours de mes quartiers tous ceux qui ont le malheur d'y être et m'engouffre silencieusement dans ceux-ci, hantée de Pourquoi ? Je tire l'une de mes valises et commence à la faire, toujours l'esprit ailleurs, mes yeux se remplissant goute à goute d'une eau salée que je refuse de laisser couler.

Pourquoi ?

   — Uméïra ?

Je me tourne lorsque me parvient cette voix familière et me retourne presque aussitôt en voyant de qui il s'agit : Marek. Est-il là par pitié ?

   — Uméïra mon amour, comment tu te sens ?

   — Drôle de question Marek.

Amère, je lui jette ces paroles au visage, sans même m'inquiéter de sa réaction.

Etonnamment, il soupire juste et vient s'asseoir silencieusement sur mon lit, près de moi.

   — J'ai appris pour ton père. Je suis désolé. Je sais ce que tu traverses et personne ne mérite de vivre ça.

Il me prend contre lui, et décontenancée, je lâche tout ce que je tenais pour m'agripper à lui. Ce câlin, il y a longtemps que j'en rêvais. Je me perds dans ses bras chauds et robustes, savourant la douceur de ses doigts sur ma peau. Des larmes à la fois de bonheur d'avoir retrouvé mon cher mari, et de tristesse d'avoir perdu mon géniteur ruissellent sur mes joues, et s'échoue sur son vêtement royal.

   — Chut, mon amour, calme toi...

Il le dit avec un ton si rassurant, que ma voix me fuit, m'obligeant à savourer ce moment en silence.

   — Je dois partir à Heldor dès demain. Ils m'attendent pour l'enterrement, lui dis-je en reniflant.

   — On doit aller à Heldor. Je ferais en sorte qu'on puisse arriver en deux jours au lieu de quatre.

   — Tu pourras, tu es sûr ?

   — Oui, je viendrais. Repose-toi maintenant, je vais charger tes servantes de faire ta valise. Ne touche plus à rien jusqu'à demain, d'accord ?

J'opine de la tête et nettoie mon visage, histoire de débarrasser son visage de trace de larmes. Mais avant que Marek ne parte, il reste une dernière chose dont j'ai envie de profiter : Ses lèvres. Je le regarde un moment, me régale de chacun des traits de son visage, de sa beauté. Je mets la paume de ma main sur la joue de mon roi, et l'embrasse avec toute la délicatesse du monde. Il me rend mon baiser, posant la main sur mes hanches. Je voulais le sentir près de moi, qu'il ne me lâche plus, comme si sa présence me faisait oublier un instant la mort de mon père. Et pour la première fois depuis de moi, je dormis enfin comme un bébé. Un énorme poids venait d'être enlevé de mes épaules, ce qui tombait à pic : Un long voyage m'attendait le lendemain, mon retour à Heldor pour y enterrer mon géniteur...

*

L'enterrement s'était difficilement déroulé. Trop d'émotions nous avaient traversés moi et maman. Je revoyais mon enfance aux côtés de mon père, qui pas très démonstratif, avait quand même su être à la fois un souverain, un père, et un mari aimant. Tout le peuple d'Heldor partageait notre peine, les pleurs et les cris jalonnant le cours de cette maussade journée de mardi. Je retrouvai en fin d'après-midi mamie Rhoda dans ses quartiers pour passer du temps avec elle, dès que maman eut trouvé le sommeil. Elle insista pour me faire elle-même un thé, malgré ses douleurs au genoux et la journée difficile qu'elle avait eue : Enterrer pour la deuxième fois un enfant. Papa, après mon oncle Exir, ex roi d'un autre royaume de l'empire. Pourtant je lui avais dit que ce n'était pas la peine de me faire un thé. Mais je n'insistai pas, parce que j'avais l'impression que cela lui changeais les idées. Pauvre mamie.

    — Tu vois mamie, maintenant tu ne peux plus te lever, je te l'avais dit, dis-je en la voyant se tenir le dos après m'avoir servi du thé. Je pouvais me passer de thé aujourd'hui.

   — On ne bavarde pas en buvant du thé, il pourrait t'étouffer.

Elle boit le sien vite fait, et me regarde souffler le mien, qui est tout fumant.

   — Tu comptes attendre combien de siècle encore ma tulipe ?

Sa phrase me fait rire, et je finis par poser ma tasse sur le guéridon non loin, regardant par la fenêtre donnant sur la forêt.

   — Tu tiens le coup ma tulipe ?

   — Hum oui, c'est maman qui est vraiment sonnée en ce moment, j'irai la voir tout de suite. Et toi mamie ?

Elle soupire et ne dit rien. Aux commissures de ses lèvres, je sens une douleur lui peser sur le cœur, ses rides encore plus marquées.

-J'ai perdu mon fils, mais je t'ai toi ma tulipe, et c'est le plus grand réconfort que j'ai pu avoir aujourd'hui, me dit-elle en me souriant tristement.

Tout doucement, elle se lève, vérifie qu'il n'y a personne dans le couloir et à la fenêtre, et revient s'asseoir, l'air grave.

   — Qu'est-ce qu'il y a mamie ? J'ai l'impression que quelque chose en particulier te tracasse.

   — Je...pense qu'un complot pèse sur Heldor, mais ce n'est qu'une intuition.

   — Pourquoi tu dis ça ?

   — Je repense à de vieilles histoires de familles dont celui où Heldor a fait la cible de nombreuses attaques après que l'armée de mon grand-père à moi ai conquis un territoire. En fait...c'est compliqué, laisse tomber.

   — Où est-ce que tu veux en venir mamie ?

   — Je pense que Armin n'est pas mort d'une manière naturelle, il y a anguille sous roche. Par comme ce fut le cas d'Exir, ton oncle.

   — Papa aurait été...

   — Tué. Ne dis rien à personne, surtout à ta mère, ça la détruirait.

   — Mais ce n'est pas possible, tous ses repas sont surveillés, et fait par des gens de confiance. Maman a même renvoyé les précédents cuisiniers parce qu'elle aussi avait soulevé cette hypothèse.

   — Rappelle-toi que ce ne sont que des suppositions, je n'insinue rien. J'ai juste un mauvais pressentiment. Mais fait attention à toi Uméïra, on ne sait jamais. Bois ton thé maintenant, il risque d'être trop froid.

Je le bois machinalement, torturée par les propos de ma grand-mère. Est-ce possible, que mon père se soit fait assassiné ? Non, non, ça doit être lié à autre chose. Mais en même temps, sa mort a été tellement rapide...

Je rejoins ma mère dans la chambre de papa, qu'elle refuse de quitter depuis notre retour du cimetière. Elle s'est réveillée. La voir dans un état pareil me fait un pincement au cœur. J'approche et prend ma petite maman dans les bras, qui à son tour me serre contre elle, comme quand j'étais petite et que je me blessais le genou. On finit par s'asseoir en silence, chacune essuyant les dernières larmes sur son visage.

   — On sait de quoi papa est ...mort ?

   — D'après le guérisseur du palais, il avait une maladie dégénérative dans les gènes, la même que ton oncle Exir qui a fini par avoir raison de lui, me répond-t-elle, convaincue.

Ma mère fond encore en larmes en me serrant contre elle, comme si elle avait peur qu'il m'arrive la même chose. Mais moi, je suis un peu soulagée que sa mort soit dû à une maladie, et non à un poison trouvé dans son corps. Exténuée, maman finit par se coucher et je la couvre de la couette pour lui permettre de sombrer dans un profond sommeil. Elle en a vraiment besoin.

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M'accorderez-Vous Cette Danse ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant