Chapitre VIII Bientôt

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Chapitre VIII
« Bientôt ».



Il n'existe rien ici aussi dangereux que toi-même. Supprime ce qui te flatte, n'aime rien qui te satisfasse, oublie-toi et éloigne tous ceux qui te désirent. C'est ainsi seulement que tu trouveras l'Equilibre promis par l'Essence.

Déclaration retranscrite du neuvième Suprême, archives de la forêt centrale, île aux Essence.


Demain.

C'est la date buttoir que m'a offert le propriétaire des nids de la trente-troisième rue des quartier Sud pour payer mon loyer. Et je n'ai aucune idée de la façon de trouver cent cinquante règnes d'ici là.

Je suis dans l'obligation de rater mes Enseignements de la journée. Je ne peux pas dévaliser une demeure des quartiers Nord. Si je pouvais me permettre de crocheter des serrures pour le compte d'un gang de rue, c'est précisément parce que ce dernier connaît les horaires de passage des habitants. Seule, je risquerai de me faire prendre en quelques minutes.

Cependant, si on me trouve, j'aurais de quoi me loger quelques semaines en cellule. C'est une option.

Pas la meilleure, d'autant que cette fois, aucun Vénérable ne pourra m'aider et que l'entrée au Stikos me serait interdite à vie.

Cent cinquante règnes.

J'ai moins de vingt-quatre heures devant moi.

Le problème, avec les heures, c'est qu'elles s'écoulent, et qu'elles ne demandent l'avis de personne pour ça. Il n'y a pas d'urgence pour le temps lui-même. Ça ne les concerne pas, les heures, qu'on menace de crever dans les rues ou non.

La première passe, puis la seconde.

Je me poste à l'entrée de l'Est, surveille le passage à la recherche désespérée d'un profil facilement volable. Une petite vieille serait parfaite.

Mais personne de ce type ne me passe devant.

Aux alentours de midi, sous une pluie grandissante, je parviens enfin à dérober un portefeuille à la terrasse d'un petit café bourgeois.

Quarante règnes.

Ma quête continue jusqu'au coucher du soleil. Je la poursuis jusque dans les Nord, au cœur des ruelles pavées toujours aussi blanches, malgré la grisaille du ciel. Au fur et à mesure que la nuit tombe sur les toits élégants de la richesse continentale, les lumières des demeures s'allument, et je me mets à les haïr, tous, de leur confort de vie. De leur sécurité. De leur absence de faim, de froid ou de peur.

Et haïr ne m'aide pas à trouver la somme que je recherche.

Tout s'écroule au matin.

Je suis retournée dans mon nids en plein cœur de la nuit, je m'y suis écroulée, soixante règnes récoltés à peine, et j'en suis extraite de force dès que l'aube amène sa réalité d'un jour neuf.

Le jour de mon expulsion.

Oh, je m'oppose, je crie, je montre ma poignée de règnes, je frappe même dans le mur. Il s'en fout. Et son servant s'en fout aussi, attrapant mes habits, et mes cours pour les balancer dans le couloir, tandis que je me précipite pour ne rien perdre de mes notes.

Tout ce qu'il me reste.

La petite vieille auprès de laquelle je traduis la langue des élites pleurniche devant la scène.

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant