XXX. Une autre forme de douceur
Six pupitres vides. C'est le bilan de cette dernière journée de passation. Six apprenants de second cycle ont abandonné. Espérons qu'ils n'ont fait que ça.
Néhala a compté, elle, trente-huit départs des Premiers cycles.
Quant aux troisièmes, je n'en sais rien.
Mais les quatorze jours sont passés, et je m'écroule sur mon lit.
J'ai triché. Evidemment, que j'ai triché. James Hoffman m'a donné de la force chaque matin, et s'est assuré de la réparation complète de mon sommeil chaque nuit. J'avais un avantage considérable sur les autres.
Mais je m'en fiche. Je la méritais, cette force. C'est pour toute celle que j'ai dû puiser moi-même depuis la mort de ma mère. J'y avais droit, à cette aide. Et je ne me sens ni fautive, ni coupable d'une quelconque façon.
Chacun se bat avec ses armes. Il se trouve simplement que la mienne est un Passeur d'âme.
Tandis que tous apprenants ayant eu le courage de tenir jusqu'au bout se reposent, les Rhéteurs, eux, sont à l'heure actuelle en train d'examiner nos derniers feuillets. Chaque jour, et ce depuis l'ouverture des cycles, en fin de d'après-midi, un servant leur a déposé nos examens. Et chaque jour, ils se sont attelés à les corriger, et à les classer qualitativement.
Et ce, pour que nous n'ayons à attendre que trois jours entre la fin des cycles, et l'annonce de nos résultats.
Je les comble en tentant, avec une sorte d'acharnement désespéré, de faire pousser la fleur, immobile dans son petit pot, mais ils passent étonnamment vite.
Les annonces ont lieu au grand Forum.
Avant, on donnait ici des représentations de théâtre et de musique ; cela sert à présent uniquement aux conférences des Stikos. Les saltimbanques d'artistes ont migré dans les quartiers Est il y a une cinquantaine d'année.
Je franchis le seuil du théâtre dans ma tenue d'apprenante, une cape sobre de velours noir sur les épaules.
Des centaines de fauteuils en rang, les uns derrières les autres, une simple allée pour les traverser, jusqu'à la scène. Haute, de bois vernis, large. Elle est surplombée d'une alcôve toute d'or, qui transforme sa lumière en éclat précieux. C'est un lieu spectaculaire, à trois collines du Stikos lui-même.
Rhéteurs et Apprenants sont tous assis, chacun au rang qui leur est consacré, toujours dans cette application sacrée des valeurs croissantes. Au fond de la salle, les premiers cycles, puis cela évolue jusqu'au bat de la scène, où les trois Premiers Rhéteurs possèdent une rangée complète de sièges.
Tandis que les Vénérables, eux, se trouvent directement sur la scène, sous la grande lumière jaune qui leur dépose une couronne fictive sur leurs cheveux.
Malgré l'obscurité, en traversant les rangées jusqu'à celle des deuxièmes cycles, je repère les boucles blondes de Néhala. Et je perçois toute la tension qu'elle ressent. La première Passation la tétanise. Et je dois reconnaître que moi. Je n'avais prévu de redouter pour quelqu'un d'autre que moi. Mais bon sang, je supplie les Penseurs qu'elle ait réussi.
Tous les rangs des deuxièmes cycles sont pris, hormis l'avant dernier. Je soupçonne mes pairs d'avoir fait en sorte de me laisser les sièges vides, s'accordant à ce que personne ne me tienne compagnie lorsque nos noms seront lancés.
Et cela me va très bien.
Le silence est entier, tendu, envahissant. Il est rempli de leurs angoisses. Je frotte mes paumes moites sur mes genoux, couverts par le tissu trop fin de mon pantalon. Je respire difficilement, et sors de la poche droite de mon ensemble, le cadeau que m'a fait le Sombre, ce matin.
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La Troisième Rive [ROMANTAISY]
RandomTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...