XV. La nouvelle observation

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Chapitre XV
La nouvelle observation



Quand l'Adversaire apparut sur la Rive, il n'y eu que la désolation. Ses fidèles exécutèrent ses ordres, et massacrèrent tous ceux qui voulurent se dresser sur sa route vers le trône. Nombreuses furent les vies fauchées par l'ennemi de l'Essence. Il n'y avait plus d'espoir, seuls les Ténèbres habitaient alors les cœurs. Jusqu'à ce que l'Elu vienne à nous, nous libère de son obscurité. Voilà pourquoi les paroles du Zégaï doivent être vénérées : il est le Sauveur de la Rive. Puisqu'il a Sa voix et qu'il connaît Sa volonté.

Livre deuxième des Ecrits Fondateurs, « Après le Zégaï », poème final.




Je voudrais au moins savoir d'où je viens. Au moins ça. Je me fais la réflexion pendant que James fume en silence devant son assiette vide et mon plat garni.

Ma nouvelle tentative pour accéder à la salle secrète s'est soldée par un échec, et une rencontre pour le moins incongrue, alors me revoilà face au Sombre, à l'heure du dîner, pendant que le reste des demeures du quartier Nord partagent un repas chaleureux, et que nous, mon maître et moi, nous affrontons dans le seul bruit du feu crépitant.

S'il refuse de mener plus loin ses Enseignements concernant les Serviteurs, c'est une volonté « pédagogique » que je peux encore comprendre. Du moins accepter. Mais qu'il refuse de m'en dire davantage sur moi, mes origines, mon rôle dans la formation qu'il m'impose en est une autre.

Je crois que ce silence là diffère de celui du professeur ; il y a deux personnes en lui. Mon maître d'un côté, et le Sombre de l'autre. En ce qui concerne mon propre passé, c'est le Sombre qui se tait. Pas le maître.

Je trouve toujours quelques questions un peu pièges, cependant. Ce soir, j'ouvre la brèche de l'hérédité, d'un ton que j'essaye innocent :

— Est-ce que ça vient des gênes ? Vous êtes né Passeur ?

James Hoffman acquiesce, en expirant une large bouffée de tabac, la fumée entourant sa maigre face dans une danse blanchâtre épaisse.

— Et donc... Moi aussi ?

Il hoche de nouveau de la tête, de haut en bas, sans rien ajouter de plus. Il se méfie clairement du terrain où mes interrogations s'aventurent :

— Et mes parents ?

C'est subtil, mais il se raidit. Ses épaules pointues viennent de remonter de quelques millimètres, et les deux doigts tenant le bâtonnet de tabac se sont resserrés autour de lui.

Je ne me suis que très rarement penchée sur mes géniteurs. C'était un questionnement envahissant durant l'enfance, mais dès lors que j'ai passé la puberté, je n'y ai plus pensé de tout. Je m'étais construit une réalité somme toute assez simple, où mes parents biologiques ne m'aimaient pas, et ma mère adoptive, si. Mes réflexions ont cessé d'aller plus loin.

J'avais déjà trop à gérer des émotions d'autrui pour m'imposer les fondations branlantes de l'abandon.

— Et bien quoi, tes parents ? demande-t-il de sa voix très grave, très profonde, mais également très tendue, soudain.

— Ils sont comme moi ?

— Personne n'est comme toi, Hélianne.

La colère grandit, lentement, certaine d'avoir sa place légitime en moi. Depuis combien de temps habitons-nous dans cette demeure tous les deux ? Et depuis combien de ne répond-t-il à rien ?

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant