Chapitre XXIX. Le Delta Premier
— Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas mentir, James ?
— C'est ta question ?
— Oui.
La nuit se déverse dans la bibliothèque du rez-de-chaussée. Les rayons argentés de la lune se projettent par les carreaux et viennent caresser les angles creux du visage osseux de James Hoffman.
La plante trône à sa place, mais je ne m'en occupe plus. Il préfère, ces derniers jours, revenir sur les Ecrits Fondateurs, me parler du Zégaï et des légendes quant à son retour. Et, évidemment, j'ai droit à ma question.
Avant-hier, je lui ai demandé comment mes parents étaient morts. Il m'a dit qu'on les avait tués. Hier, je lui ai demandé qui les avait tués, il m'a dit : « la haine ». J'ai relevé que ce n'était pas une réponse, et il a grincé « Nous sommes en guerre, Hélianne. C'est même la seule réponse qui soit. ». Mais, reconnaissant qu'il était peut-être resté trop évasif, il m'a accordé une autre question, comme le veut notre accord.
« Ils étaient dans quel camp ? », et la vérité a franchit ses lèvres trop fines : « Indisciples ».
Ce qui me rapproche de ma première intuition. Car c'est bien ce qu'il a été, un Indisciple. Il est a peut-être parlé métaphoriquement. La « haine », l'a peut-être tué, c'est ce qu'il veut dire par là. Une part de lui est morte, mais il n'en reste pas moins mon parent.
J'en suis de plus en plus persuadée. Nous avons d'ailleurs les mêmes cheveux noirs, indomptables, ses traits me sont familiers. Et ce lien, que nous possédons. Ce lien qui nous connecte l'un à l'autre malgré nous-mêmes. Tout s'imbrique logiquement.
— On peut mentir, explique-t-il en face de moi, sur sa chaise au dossier d'osier. C'est simplement très douloureux.
— Moi je n'y arrive pas, j'ai beau essayé, je ne réussis pas à mentir.
— Mentir n'est jamais une réussite, rétorque-t-il immédiatement. Mais je t'apprendrai, si c'est que tu veux.
Son costume sombre le rend plus ténébreux encore qu'à l'ordinaire ; surtout avec ces quelques rayons de lunes sur son visage, creusant les ombres déjà profondes de ses joues.
Et je me surprends, soudain, à le trouver beau.
J'ignore ce qui est arrivé à son corps pour qu'il ne comporte qu'un mince filet de chair sur ses os, mais je suis sûre qu'à une époque, James Hoffman était un homme superbe, au charme redoutable.
Si je plisse les yeux pour l'imaginer garni de muscle, d'un peu plus de graisse, je le vois. Je le vois tel qu'il a dû être des années auparavant, et il est clair qu'il était magnifique.
— Reprenons.
Son ton est sévère. Il n'a pas apprécié la longue observation que j'ai menée de ses traits secs. Je secoue la tête, chasse l'image d'un James Hoffman jeune et rayonnant pour me concentrer sur le feuillet sous mes yeux, où je note l'histoire des Passeurs d'âme, sagement.
— Le Delta premier, il y a trois mille ans, aurait comporté : l'Oracle, l'Adversaire, et l'élu de l'Essence : le Zégaï. Chacun ayant sa particularité. L'Oracle était appelé « Celui qui voit », et il a perçu l'arrivée de l'Adversaire bien avant sa venue, ainsi que celle du sauveur de la Rive, celle du Zégaï. L'Adversaire, né du chaos, aurait le pouvoir de la roche noire.
Je m'interromps dans ma prise de note.
— La... ?
— La roche noire, reprend James en tendant son cou vers les vitraux, pour observer la nuit sur les toits des quartiers Nords. Il y a un volcan, très loin d'ici, un volcan fait d'une matière qu'on ne trouve nulle part ailleurs sur la Rive. Il est impossible pour les Passeurs de s'en approcher. Elle élimine toute forme de vie, elle l'absorbe, et...puisque nous sommes des vaisseaux du vivant, elle nous détruit. On raconte que l'Adversaire est fait de cette roche. Qu'une partie de son sang, du moins, peut annihiler le vivant, d'un simple contact.
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La Troisième Rive [ROMANTAISY]
RandomTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...