Le couloir était long, sombre et métallique. Qu'on ait pensé à créer un tunnel tout en métal restait une incongruité à ses yeux. Bien que ce soit pratique pour éloigner les plus faibles, on ne pouvait nier le manque d'esthétique évident à devoir traverser de longues allées grisâtres sans odeurs.
Cette tendance qu'avaient les Serviteurs à vénérer la vie tout en la supprimant de leurs architectures l'irritait peut-être plus que leurs principes alimentaires. Il pouvait facilement se réincarner tout au bout, mais avec toute cette inertie, cela lui demanderait une énergie importante ; il préférait la garder pour la suite.
Ses pas résonnaient, et là encore, c'était un effet du métal. Mais cet écho le fit doucement sourire : entendre résonner ses pas, c'était entendre son avenir de façon décuplée. Et c'était une symphonie qu'il acceptait volontiers d'écouter. Un premier Gardien apparût ; il était surpris de n'en avoir pas encore vu. James le sentit un instant : puissant, sans aucun doute. Mais très empathique, et victime des émotions extérieures, avec certitude. Il devait favoriser une Essence fluide, ne contractant pas la vie, mais la faisant passer par lui-même ; il avait besoin de sentir avant d'attaquer. Le temps manquait à l'étude, même si le Passeur aurait été intéressant à décrypter, James ne s'y attarda pas. Il observa son empathie, la caressa une seconde, la réconforta même.
— Ne joue pas avec ça, grogna le Serviteur qui, visiblement, tentait de combattre l'influence qu'on glissait en lui.
James, effectivement, ne devait pas jouer. Il n'en avait pas les minutes. Il récupéra les souvenirs qu'il venait de trouver : la petite sœur « adorable », la grande leçon du Suprême sur l'Equilibre de toutes choses, la main frôlée auprès d'un Serviteur d'une autre cité, une vie entière de délicatesse et de dévotion à l'Essence, et broya le tout. Le Passeur fut écrasé par un poids invisible et immense, il s'étala dans le couloir en métal, son visage tout d'abord fut tordu, puis il éclata sous la pression, laissant un œil à droite et plusieurs dents à gauche. James l'enjamba pour reprendre sa route.
Sa route déterminée vers elle.
Un autre, qui avait une Essence plus sèche et pragmatique, essaya aussi de lui barrer le chemin. James pensa bon de lui briser les os avant la nuque, pour qu'il n'ait pas l'occasion de lui faire perdre du temps dans un combat. La sécheresse de l'Essence permettait une concentration plus forte dans les os. Il protégeait ses membres et son sang du lien à l'autre, il ne laissait que son squelette à percevoir. James en rompit plusieurs zones : le bras gauche et deux côtes.
Le Passeur hurla quelques secondes seulement avant de mourir. C'était assez magnanime. Mais encore une fois, le temps manquait. Se pencher et appuyer sa victoire, les laisser crier un peu plus, et leur rappeler qu'il n'existait personne sur cette rive capable de l'affronter, était d'une autre époque. Il y avait des urgences.
La fin du couloir s'annonçait par une lumière fine qu'il franchit, et qui éclaira enfin totalement l'entrée du temple. Les temples des Serviteurs étaient d'une prétention aussi avilissante que ceux des Continentaux, ornés de pierreries, hauts et voyants, se voulant imposants et majestueux.
Et ne contenant rien. Pouvait-on prier l'Essence dans une bâtisse aussi superficiellement élevée ? Pouvait-on se dévouer entièrement à la recherche du Zégaï, pouvait-on défendre la vie qui mourait continuellement à la surface, combattre les Continentaux, s'opposer à l'extinction des espèces, mener la guerre Juste, lorsqu'on prenait le temps d'ajouter des diamants aux portes de chez soi ?
James Hoffman fit un premier pas vers l'alcôve en pierre grise ; le sol était d'eau, une astuce de plus pour empêcher les moins agiles d'approcher. Si l'on ne regardait pas attentivement, on pouvait prendre le parterre pour un marbre bleu pâle ; mais c'était bien une eau claire et profonde qui servait d'appui, et sans réunir suffisamment d'Essence pour former un pont, on y sombrait aisément. James y marcha sans gêne, ses pieds seuls mobilisaient les particules de vie pour progresser vers les portes ; il n'y pensait même plus, trop concentré sur elle, sur ce qui se trouvait derrière la porte et qui était la raison de toutes ses pertes dans les rangs des Serviteurs. Tout serait bientôt terminé.
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La Troisième Rive [ROMANTAISY]
De TodoTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...