18. Punir les coupables

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18. PUNIR LES COUPABLES




J'ai pris mon stylo, mon carnet, ma sacoche, et j'ai quitté les rangs d'Enseignement historique. Harlock ne m'a fait aucune réflexion tandis que je dévalais les gradins pour rejoindre la porte. Mais j'ai perçu la vague de murmures étonnés dans l'ensemble de l'amphithéâtre. Je m'en foutais profondément.

J'ai quitté la salle, l'aile Est, le Stikos, les quartiers Nord.

A présent, je marche si vite que l'intérieur de mes jambes me brûle ; mais je ne peux pas courir, la tension dans mes muscles m'en empêche.

Chosthovak.

L'équation semble impossible. Que Chosthovak ait trahi ma mère me semble hors de raison ; impossible avec la réalité que j'ai construite.

Je le revois sourire et pétiller avec légèreté, je l'entends encore : « Une femme bien, ta mère, c'est désolant tout ce qui se dit sur elle. ». C'est une des premières phrases qu'il m'ait déclarées.

Il l'aurait dénoncée ? Lui ?

Et pourtant, au fond de moi... Je sais. Je sais qu'Harlock a dit vrai.

Sur toutes ces images douces de l'Observateur, se greffe à présent la corde sèche et les pieds de travers. Dans tous les sons de ses éclats de rires vient se fondre le bruit grinçant du balancement du cadavre sous la poutre.

« Je suis passé maître dans l'art de la dissimulation », voilà ce qu'il a affirmé à Janhin. J'espère, je supplie les Penseurs, qu'il ait une bonne raison. Je le voudrais. Je le voudrais car alors, je n'aurais plus cette envie de me vomir moi-même ; je veux me rejeter par les tripes de l'avoir désiré. Désiré lui, lui, qui a pendu ma mère.

J'arrive aux quartiers Est en très peu de temps. Et tout aussi vite, je retrouve l'immeuble de trois étages au toit privatisé pour son bon plaisir.

Je passe les portes vitrées de son immeuble, monte au deuxième, et je tambourine à sa porte.

Je tambourine si violemment que le bois tremble et que mes coups firent écho dans le couloir entier.

La réponse prend une seconde.

Les bruits de pas, la clef qu'on tourne. Et il ouvre.

Je ne sais pas ce que je comptais lui dire. Pour l'instant, je me fige devant ce visage que je trouve beau. Beau et à la fois répugnant, maintenant.

— Kahn... ? s'étonne-t-il. Ce n'est vraiment, vraiment pas le moment.

Il est devant moi. De ses yeux en amandes, je ne vois plus que la trahison, et l'odeur de bois brûlé ressemble à présent à celle des forêts qu'on rase pour les profits de la Régence.

Je n'ai plus accès qu'au langage primaire de la colère, qu'aux pulsions archaïques qui dépassent la raison, et d'un coup, sans même y réfléchir, je le gifle. Violemment.

Il reçoit le coup, garde son visage de côté, la joue rosie, les mâchoires si serrées qu'on les aurait dites de pierre, et il fixe le sol.

Je n'en appelle pas à l'Essence. C'est la force violente de mon humanité qui s'exprime. Chosthovak, toujours dans l'encadrement de la porte, le visage penché sur la moquette bleue du couloir, ferme douloureusement les yeux pour déduire :

— Harlock a balancé l'info.

Il ne nie pas.

Je voulais tant qu'il nie. J'avais tant besoin qu'il se justifie, qu'il se débatte contre la vérité d'Harry Harlock. Qu'il ait une raison.

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant