XX. La célébration (1)

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Chapitre XX.La Célébration (1)




La Célébration débute au coucher du soleil. James suspend ses leçons d'histoire, pour l'occasion.

Puisqu'il s'agit de la cérémonie la plus importante du Continent, les représentants les plus éminents des Hautes Institutions ont tous été conviés. D'ordinaire, on n'invite que les membres du Stikos : Vénérables, Rhéteurs, et Apprenants. Mais pour le demi-millénaire, on a pensé, dépensé, agencé plus grand.

Je n'ai assisté qu'à une Célébration, l'an passé, dans des conditions terribles, quelques semaines après la chute de ma mère. Tout ceci s'avère donc assez nouveau pour moi ; et la cérémonie funeste de Soulya m'a au moins rappelé que les codes conventionnels se doivent, parfois, d'être respectés.

Ce que James tente désespérément de m'inculquer, lui aussi. Toujours dans cette optique d'intégration des hautes sphères stikostiques dont il ne me dit rien. Cependant, lorsque j'entre dans ma chambre, je découvre sur mon lit une robe de satin noire déposée élégamment, des boucles d'oreilles de diamant, et au pied du meuble, des chaussures à talon, sombres, boucles brillantes.

On ne va pas y couper.

Une fois la robe enfilée, les bijoux mis, mes cheveux relevés, je souris à mon reflet. Je ressemble à présent à une membre de l'élite, une vraie, et je trouve quelque chose de gracieux dans la cambrure de mon dos, et dans les jolis ronds que suggèrent le corset noir à sa poitrine. Je n'ai plus l'air d'une jeune fille, et soudain, mon sourire disparaît. Ces temps-là ne reviendront jamais. A en croire mon miroir et les constants reproches des institutions, à présent je suis une femme.

Je penche ma tête sur le côté pour observer ma nuque attentivement. C'est donc ça, la nuque d'une femme : une courbe délicate qui indique le chemin des épaules, épaules qui indiquent les bras, les hanches et le bassin ; j'ai un corps qu'on va regarder. Et je me demande alors si être une femme, ce n'est pas, quelque part, ne plus s'appartenir totalement.

On frappe trois coups. James applique à la pudeur un respect presque sacré. Je l'autorise à entrer, il se contente d'ouvrir la porte, et d'adosser une épaule maigre contre l'encadrement. Il m'observe, longuement, parcourant ces nouvelles courbes que dévoile ma robe de satin, il croise ses bras cadavériques contre sa poitrine, et ses yeux se font plein d'une chaleur étrange :

— Tu es magnifique, Hélianne.

Il m'observe comme s'il était fier. Comme si j'étais un genre de création qu'il aurait réussie. Et, sans m'expliquer pourquoi, cela ne me dérange pas.

Moi aussi, je suis fière. J'aime lire l'admiration dans ses yeux d'ordinaire illisibles. Voir ce qu'il refuse qu'on voie. Entendre ce qu'il ne prononce pas.

— Merci, maître.

Son sourire est fin, quasi imperceptible. Je le reçois comme s'il l'avait dévoilé entièrement. Et je m'en vais, pour rejoindre la plus grande cérémonie de l'année, et du Continent entier.

Le crépuscule est déjà au cœur du ciel, et dépose de sombres étincelles sur les toits des demeures du quartier Nord.

Le Stikos n'a jamais paru aussi majestueux que ce soir.

Le bâtiment se détache de la nuit, les lumières de la réception éclatant au travers de ses vitraux, de ses tours, de son haut portail et de ses jardins. On s'y rend cérémonieusement, dans les beaux vêtements qui coûtent à l'achat de quoi se loger des mois, et seulement une ou deux vies à la fabrication ; sans doute celles d'enfants du Grand C, -ou peut-être des Continents Annexes, on a tendance à oublier jusqu'où s'étend les abus de la Régence-. Quoi qu'il en soit, cette année, les membres de l'Union, de la Propagation, de la Régence, les Vénérables et quelques anciens autres élèves, Avérés pour la plupart, se rendent dans le lieu du savoir, avec la conscience de leur privilège.

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant