XXXIII. La désolation du sombre (2)

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CHAPITRE XXXIIIla désolation du sombre (2)




La pluie tombe au dehors. J'ai posé mon front contre la vitre, et j'écoute le cliquetis des goutes contre les carreaux. Je me demande un instant où je serais, à l'heure actuelle, si James ne m'avait trouvée. Serais-je morte sous cet abri, il y a quelques mois ? Aurais-je réussi à m'en sortir malgré tout ? Trouvé une force en moi que je ne pensais plus présente ?

Je n'en sais rien. Je pense seulement, au chaud dans ma demeure tandis qu'il assure la sécurité de Néhala dans les rues de capitale, que je suis heureuse, à présent, qu'il m'ait trouvée.

Je suis même...apaisée. Il a réussi à m'apporter cela. La paix. Sans que je ne comprenne comment, c'est pourtant bien ce qu'il a déposé en moi.

Je ne l'entends pas rentrer. Il se contente de frapper à ma porte pour me signifier que Néha va bien et que notre repas est prêt.

Comme toujours, je me retrouve en face de sa maigreur, et dévore sous ses yeux le riz épicé et les légumes confits qu'il m'a cuisinés. Entre deux bouchées, je lui avoue :

— Je pensais que c'était vous. Le creveur d'yeux.

— Tu n'es pas la seule.

Je repose mes couverts pour croiser mes mains sous mon menton. Je me souviens d'un rêve. Je me souviens d'une voix qui...

— « Tu as volé son âme » ... Une voix vous disait ça.

— Oui. Et comme je le lui ai répondu : je n'ai touché aux yeux de personne. Pas cette année, en tout cas.

Je ne relève pas sa dernière phrase ; j'ignore s'il voulait plaisanter ou s'il était sérieux. Et je préfère vraiment ne pas avoir connaître la réponse.

— Qui vous a accusé ?

— Le Suprême. Nos rencontres sont toujours des instants délicieux.

Il fume, pétillant de malice en face de moi, tandis que j'essaye de mesurer l'importance de son propos. Est-ce...Exceptionnel, de rencontrer le Suprême ? Je ne suis pas au fait de leurs lois, de leurs traditions, de leur hiérarchie. Mais quelque chose me dit que oui. Que c'est bien exceptionnel de pouvoir lui adresser la parole.

Quand je termine mon assiette, il se lève, contourne la table, et revient déposer devant moi un dessert au cacao, coulant sur des baies-bleues. Je salive devant l'odeur de sucre, plante une cuillère impatiente tandis qu'il rit. Rien de spectaculaire, mais c'est un son charmant, guttural, et pudique.

James se rassoit en face de moi, et allume son bâtonnet de tabac pendant que j'assassine mon dessert.

— Si on ne fait pas de leçon ce soir, qu'est-ce qu'on fait ?

— Ce que tu veux, répond-t-il, doucement. On peut parler. Lire. On peut jouer aux cartes.

Là-dessus, il tire tranquillement une bouffée. Repue, je repose mes couverts, et m'affale dans mon siège pour lui offrir un regard amusé :

— Parler, comme « papoter » ? En dehors de LA question quotidienne autorisée ?

Il hoche la tête de haut en bas, sans formuler son accord à voix haut. Je m'y précipite, évidemment :

— Est-ce que je peux mettre Néhala au courant ?

— Absolument pas.

L'absence de surprise est affligeante. Mais je creuse tout de même :

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant