28. Un flottement

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28. UN FLOTTEMENT




J'ai dû m'assoupir plusieurs heures, car lorsque je rouvre les yeux, nue sous les draps délicats du lit de Chost, la nuit est en train de tomber. Je le sais, aux rayons de lumière qui ont disparu à travers le bois des volets, remplacés par un voile plus sombre et apaisant.

Chost n'est plus là. Je quitte aussitôt les draps. J'ai cru l'entendre prendre une douche à un moment, dans mon assoupissement, mais, maintenant que je suis complètement éveillée, il n'y a personne. Ni dans la chambre, ni dans la salle de bain, dont la porte est entrouverte sur une pièce éteinte.

Je me glisse alors hors des couvertures, enfile mon haut trainant au sol, mon dessous, et m'extirpe de la chambre.

Je n'ai pas à chercher bien.

Chost a ouvert la fenêtre de son salon, et s'est posté à la rambarde de fer donnant sur la rue, pour fumer dans l'air de la nuit. Il porte son pantalon, mais n'a pas pris le temps de remettre un de ses pulls trop large.

Sans y penser, d'instinct, je vais me lover contre son dos. Ma tête sur ses omoplates, je place mes mains sur son torse et inspire l'odeur de sa nuque. Sous mes paumes, la douceur de sa peau achève de me réveiller complètement. Et dès je le touche, il pousse un soupir d'aise, sa main venant se poser sur l'une des miennes.

— T'as l'air pensif...chuchoté-je contre lui.

— Non, répartit-il dans un léger rire un peu amer. Je penserai demain.

Je comprends parfaitement. Le déni nous protège, tant que le soleil n'éclaircit pas encore notre faute à la lumière du jour.

Sans cesser de le toucher, je glisse sur le côté pour venir me blottir sur son torse, directement. J'y dépose d'abord la tête, puis, laissant mes doigts en explorer les détails, je m'arrête sur une des aspérités que j'ai senti à la va-vite tout à l'heure.

La lueur des réverbères éclaire plus précisément sa peau. Ses pectoraux, la forme prononcée de ses abdominaux, son nombril, les deux fentes à ses hanches qui descendent jusqu'à son pantalon, comme indiquant le chemin...Et les cicatrices.

Par dizaines.

Soudain, dès que je les vois, les touche, les appréhendent, un souvenir qui n'est pas à moi m'apparaît, violemment, dans l'esprit. Une phrase qu'il a dite.

A Clara d'Olivier.

« J'ai connu de très près les rouages de l'alcoolisme ».

J'écarquille les yeux tandis que mon index rencontre une rondeur pâle en dessous de son téton : une brûlure de bâtonnet, à n'en pas douter.

— Chost... ! m'exclamé-je d'une voix basse, stupéfaite.

Les marques ont des années ; elles sont déjà blanches, complètement intégrées à son épiderme. Définitives.

— On t'a fait ça quand tu étais petit ?

Il stoppe mon exploration en entourant délicatement mon poignet :

— C'est soit ça, soit je couche avec beaucoup, beaucoup de Passeuses, réplique-t-il dans ce fichu sourire en coin.

Il fume là-dessus, tandis que je mêle à mon rire surpris une pointe de douleur. Ses bras sont aussi couverts de cicatrices, longues, fines, des scarifications en nombre.

Et je comprends tout à coup.

Ses manches trop longues, voilà ce qu'elles dissimulent. Ce n'est pas un style vestimentaire choisi pour provoquer la Régence. Chost cache ses blessures, en permanence.

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant