Chapitre IV
La jeune Apprenante
La douleur n'est rien. Le plaisir n'est rien. Ce que vous percevez n'est qu'une impression éphémère. L'important vient d'ailleurs. L'Eternel vient d'ailleurs. Votre douleur et votre joie ne sont qu'une infime parcelle de ce qui constitue l'Essence entière ; vous n'êtes pas unique, et vous n'êtes pas seul. Quand vous aurez compris votre appartenance à l'Equilibre de toute chose, alors une autre plénitude sera possible, et primera sur l'ensemble de l'existence. La plénitude d'être parmi tous, à la fois premier et dernier élément d'une chaîne indestructible vers la Troisième Rive.
Livre deuxième des Ecrits Fondateurs, « Paroles du Zégaï », jour 4.
En rouvrant ses portes dès le lendemain matin, c'est tout comme si le Stikos nous avait déclaré « C'est triste, mais c'est la vie, on continue de bosser, les gars. », ou quelque chose dans ce goût-là.
Cependant, moi, ça me convient très bien. Parce qu'aucune des réponses que je compte obtenir ne peut se trouver ailleurs que dans le marbre froid des tours du savoir.
D'abord, auprès du Vénérable Estrade, s'il accepte, évidemment, de se livrer sur le sujet. Ensuite, dans la grande bibliothèque, à la section réservée aux mythes fondateurs. En dernier recours, dans les archives du Stikos, au sous-sol, aussi appelées « la salle secrète ». Qui n'a bien sûr rien de secret, puisque tout le monde l'appelle comme ça.
Ma mère m'en a montré l'entrée « interdite » l'an passé. C'est là que se trouvent tous les livres condamnés à l'étude, tous les papiers censurés de l'époque des Penseurs révoltés, mais aussi un large éventail d'ouvrages concernant les Serviteurs.
Je ne crois rien découvrir en cherchant directement dans la grande bibliothèque « voler des âmes en crevant des yeux », mais peut-être que mon Vénérable favori pourra m'orienter ?
Je quitte mon nid dès l'aube, j'ai deux heures devant moi pour trouver de quoi manger. Le plus stratégique serait de passer par les quartiers Est, où la classe moyenne aime petit déjeuner en terrasse, mais je crains de manquer de temps pour ça.
C'est finalement la poubelle extérieure d'une épicerie aux abords du Nord qui me fourni mon repas du matin : un reste de brioche, et la moitié d'un fruit déjà croqué. J'efface symboliquement la marque des dents dans la chair blanche avant d'avaler le tout et de reprendre ma route.
Il y a forcément une raison pour que ce soit dans mes rêves qu'il débarque. Ou bien, autre possibilité, nous sommes plusieurs à le voir, mais personne n'ose en parler. Après tout, je ne suis peut-être pas la seule à percevoir les émotions des autres lorsqu'elles les débordent, et pas la seule non plus à rêver du Sombre depuis l'enfance.
C'est peut-être pour ça que le Vénérable Estrade croit, peut-être que lui aussi enchaîne les songes inexplicables. Ou peut-être qu'il est un l'un des leurs.
Maintenant que la porte est ouverte, autant laisser entrer toutes les théories. J'ai assez de sièges mentaux pour qu'elles passent un bon moment en moi. Installez-vous, je vous en prie. Je n'ai pas de quoi grignoter, en revanche.
En fait, je suis chiffonnée par le principe même. C'est ce qui m'empêche de me plonger entièrement dans mes nombreuses théories. S'il s'avère réellement que des Serviteurs côtoient la Rive en même temps que nous, et qu'ils possèdent les dons qu'on leur soupçonne depuis des siècles : guérir les blessures, passer des âmes, contrôler le vent, ce genre d'absurdité folklorique qui agrémentent les contes pour enfant, pourquoi se cacheraient-ils ?
![](https://img.wattpad.com/cover/326880336-288-k59038.jpg)
VOUS LISEZ
La Troisième Rive [ROMANTAISY]
De TodoTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...