14. La soumission à l'autorité
« Nous n'acquiesçons pas le terme de « torture ». Nous reconnaissons la rigueur de nos éducations, mais il ne s'agit nullement d'une forme de châtiment. L'apprentissage est, certes, sévère, mais comment combattre des Passeurs sans connaître la souffrance ? Nous avons mis en place un système de formation qui permet à ces enfants d'apprendre la douleur, de la contrôler, et de la projeter sur le Passeur en cas d'attaque. En quoi cela s'apparente-t-il à de la torture ? Nous les sauvons, au contraire. Et par extension, nous sauvons beaucoup de Continentaux sur cette Rive. Privez un enfant de nourriture, enseignez-lui la rudesse, la soif, la solitude, et vous obtiendrez un soldat capable d'endurer les souffrances que nous infligent les Passeurs. Plus efficace encore, il sera capable, à son tour, de leur donner cette souffrance. C'est cela, que nous faisons. Nos méthodes peuvent vous sembler trop rudes, mais elles sont nécessaires. Et vous nous en remerciez, même, lorsque les Passeurs auront décidé de reprendre le pouvoir sur cette Rive. »
Réponse du Haut-Sabre-Noir au communiqué de Jacques Langlois concernant les méthodes d'apprentissage de ses soldats. Lettre classée dans l'allée Continentale des Archives forestières de l'île aux Essences.
James m'observe entamer mon petit déjeuner en fumant de son côté de la table, la douce lueur matinale du printemps précoce se diluant derrière lui.
Il m'examine, longuement, jusqu'à ce que je soupire, entre deux bouchées de céréales :
— Un problème, maître ?
— Tes émotions... chuchote-t-il, les yeux plissés dans ma direction. Je les perçois moins.
Un sourire fin se dessine sur ses lèvres quasi inexistantes lorsqu'il ponctue :
— C'est bien. Ton Essence se concentre de plus en plus, sans éclater de toute part. C'est bien, répète-t-il.
Cependant, sa mine s'assombrie un instant. Je me demande s'il ne regrette pas que je progresse, si notre lien ne risque pas de lui manquer. Mais il développe sa pensée -étonnamment- et m'avertit :
— Fais attention, Hélianne. Tu m'as demandé d'éteindre ta colère, et je l'ai fait. Mais l'Essence t'en voudra de t'empêcher de la ressentir. Il faut accepter les émotions qu'elle dépose en toi. Elle risque...
Il cherche le mot juste, une seconde, avant de poursuivre :
— Elle risque de te le faire payer.
Bien évidemment, j'entends l'alerte, surtout venant de lui. Mais je continue à penser, et peut-être est-ce prétentieux de ma part, que ce qui s'applique aux autres Passeurs ne s'applique pas à moi.
Après tout, c'est pour sauver la Rive que j'ai éteins ma colère. L'Essence devrait le comprendre.
J'élude le sujet en lui racontant mon excursion nocturne, dans le moindre détail. Comme toujours, je ne lui cache rien. Car ce qui pourrait passer pour un détail à mes yeux, a peut-être une grande signification aux siens. Alors je retranscris le plus fidèlement possible ce que j'ai vu et senti cette nuit, sur le toit de Chosthovak.
Le premier élément que relève mon maître, est bien évidemment le nom du creveur d'œil. Il contracte sa mâchoire en expirant sa fumée grise, pour avouer, d'un ton irrité :
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La Troisième Rive [ROMANTAISY]
RandomTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...