5. CELUI QUI VOIT.
Je n'avais plus rêvé depuis des mois, et je pensais que c'était terminé. Je pensais que, ayant trouvé James, mes escapades nocturnes avaient définitivement pris fin.
Mais me voilà hors de mon corps, et ce n'est pas un effet de mes songes. Je sais que je suis quelque part entre mon enveloppe de chair, et l'air qui empli notre Rive.
Dans une sorte d'entre-deux où se dessinent les contours de la vie, vagues et impalpables. C'est la même sensation que j'ai éprouvée, toutes les fois où mes nuits me guidaient vers James. Mes jambes flottent à chaque pas, cotonneuses et fourmillantes, comme engourdies après une trop longue pause sans bouger. Ma vue ne distingue pas tous les détails.
Mais...Je vois. Je vois une forme précise autour des visages qui passent près de moi. Chaque tête est enveloppée d'un halo.
Avant, quand il n'y avait que James, je voyais un voile noir, immense, profond. Je lui avais donné son surnom, « le Sombre » pour ce halo, précisément.
Mais il n'est pas là ce soir, et je comprends enfin ce que me montraient mes rêves. Ce n'était pas un halo. C'était son Essence.
Je vois l'Essence des vivants.
James m'a dit que ma puissance augmentait ; que mon Essence était en train de grandir et en effet, je la sens en permanence, prendre sa place en moi. Pousser un peu de qui j'étais pour se mêler à qui je deviens.
Et cette nuit, elle a décidé de me guider ici.
Pourquoi ?
Je reconnais de façon vague les murs de granit rose typiques des cave-à-baie de l'Est. Je marche entre les continentaux. Je sais qu'il n'y a pas de Passeur ici. Le halot des dizaines de personnes tout autour de moi est trop fin. C'est comme...Un filet de poussière, déposé sur leur peau, comme un dessin au crayon de bois, griffonné sur les contours de leurs corps.
Mais il y a une raison à ma présence ici.
L'Essence veut me montrer quelque chose. Je l'écoute ; mes jambes cotonneuses avancent, comme poussée par un vent chaud. Je dépasse les continentaux, je ne m'attarde sur aucune de leur aura.
Un couloir se précise, que je foule sans réfléchir. Il y a des rideaux de part et d'autre, quelques couleurs aussi, tout est léger, loin, brumeux.
Jusqu'à ce qu'un des rideaux, lui, se détache par sa forme, son détail, et sa texture. C'est là que je dois me rendre.
Je n'ai pas à le pousser. Je le traverse, il fusionne à ma peau le temps de le franchir, aussi facilement qu'on prend une inspiration.
Et me voilà dans une pièce que cette fois, je distingue parfaitement.
Une trentaine de mètres carrés, deux banquettes confortables se faisant face, séparées par une table de verre rectangulaire, je suis dans un des box privés d'une cave-à-baie. Et je ne prends pas le temps d'en dresser les détails. Je sais soudain où mon Essence m'a amenée.
Ou plutôt, je sais où mon cœur a décidé de guider mon Essence.
Sur la banquette de gauche, je découvre Chosthovak, dans ses simples habits délabrés, la mine grave, le regard concentré devant lui.
Son halot est plus précis que celui des autres continentaux, mais...il n'en reste pas moins l'un des leurs. Chosthovak n'est pas un Passeur d'âme. Il possède une Essence distincte, élégante, appuyant le contour de ses traits, et de son corps, mais je peux en sentir les limites.
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La Troisième Rive [ROMANTAISY]
DiversosTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...