La Troisième Rive [ROMANTAISY]

III. La Foi retrouvée

Chapitre III
La foi retrouvée

Du plus loin qu'on puisse remonter en termes de témoignages écrits, on trouve des Serviteurs. Si l'on ne peut nier le lien étroit entre langage et structure de la pensée, la question de l'influence des Serviteurs -comme légende, concept, ou tradition de contes oraux- devient incontournable. Mais leur origine reste floue. D'après les travaux archéologiques de la Vénérable I.Boltz, des représentations graphiques datant de plus de 3000 ans mettraient en scène plusieurs individus entourés d'un halo clair et penchés sur des corps. Cette image rejoindrait les premiers récits civilisés concernant les Serviteurs (cf : -2000 avant l'ère Continentale). Se pourrait-il en réalité qu'un groupe d'individus supérieurement intelligents ou évolués aient mis en place leur propre légende et formé un gouvernement théocratique autour de nouveaux dieux : eux-mêmes ?

« Fondation des sociétés continentales : la notion de Serviteurs comme socle aux croyances civilisées », Rhétorique du Vénérable Kléon Estrade, Introduction.

Ce qui choque l'éditeur de l'article, à propos de Johäll Arina, c'est le fait qu'elle ait fait un AVC derrière une cave-à-baie sans que personne ne s'en aperçoive. Il dénonce, à ce titre, les méfaits de l'alcool sur les citoyens, et le manque croissant de civilités sur le Régent.

Moi, ce qui me choque, bien entendu, c'est que Johäll Arina ait réellement existé, et soit à présent, réellement morte.

Parce qu'à moins d'avoir lu cet article sans m'en souvenir puis d'en avoir formé un rêve qui mêle le décès de la trentenaire et mon homme sombre pour des raisons que seul mon inconscient peut expliquer, la seule véritable information à retenir de ce bout de papier est qu'Il existe.

Lui. Le Sombre.

Il existe, et je rêve de lui depuis mon enfance.

Il existe, et il tue des femmes dans ma propre cité. Quand, d'ailleurs ? Il y a trois jours.

Donc... Pour synthétiser au mieux le vertige de ma pensée : il existe. Et il est ici.

Je ne dors pas de la nuit ; je crois que je m'assoupis à l'aube, pour me réveiller quelques minutes plus tard.

J'ai passé les heures entières, dans mon nid, sur mon lit inconfortable, à réfléchir, et surtout, à essayer de ne pas sombrer dans la folie. 

Je suis si fatiguée ce matin, que je ne sais plus si je n'ai pas inventé cet article. J'aimerais m'en convaincre, en vérité. Parce que, la brèche qu'ouvrirait la véracité de ce journal me fait tanguer d'angoisse et d'absurdité.

Cette nuit, au cœur de l'insomnie, une multitude de théories absurdes m'ont envahies. Tantôt je les balayais d'un revers de la raison, tantôt je les accueillais et leur trouvais une logique sans faille. 

Aux alentours de deux heures, tout ceci n'avait pas de sens et j'avais lu l'article sans m'en souvenir, aux alentours de trois, les Serviteurs existaient et l'homme Sombre s'en faisait le messager.

A présent, il ne me reste plus que l'épuisement, et la faim, terrible, éreintante, incurable. Car je ne possède plus que quatre règnes. Je pourrais m'offrir deux fruits, avec ça. Deux fruits, c'est énorme lorsque l'estomac se creuse jusque dans le dos. Mais ça ne me suffira pas pour la journée entière. Pas le choix, cependant.

Si je parviens à voler du pain sur le trajet, j'arriverai peut-être à tenir jusqu'à demain.

Les quartiers Sud dorment encore lorsque je quitte mon nid ; j'en apprécie le calme à cette heure précoce. J'ai fini par trouver un certain charme à ces ruelles abîmées par le temps, aux trottoirs grisâtres fissurés, aux odeurs de vie nocturne qui flottent encore dans les airs après la nuit passée.