29. La colère de l'Observateur
J'ai fait quelque chose d'horrible.
Je me justifie auprès de ma conscience à coup d'excuses faciles, mais auxquelles je crois tout de même un peu.
L'absence à venir du corps de Chost contre le mien. Le vide du manoir depuis le débat de James. Et la voix de Clara, en échos, au fond de mes pensées.
J'étais trop épuisée, trop malheureuse, trop soumise au maelström d'émotion qui me prenait pour réfléchir à mon acte. Alors, quand une pulsion plus grande que moi m'a agrippée au moment de quitter l'appartement de Chosthovak, et m'a ordonné de prendre les dossiers concernant l'Araignée...Je l'ai fait.
Et je ne suis pas allée au Stikos. J'ai rebroussé chemin, lorsque les hautes grilles se sont dessinées devant moi, baignées de la lumière douce du printemps épanouit. Je n'ai pas pu. J'avais mal. J'avais peur. Je me sentais seule et honteuse.
Alors, je suis retournée au manoir, et, pendant une heure, peut-être deux, je suis restée allongée sur mon lit, dans le silence froid de la demeure manquant terriblement de mon oncle.
La douche brûlante que j'ai prise ensuite ne m'a pas lavée de ma peine. Je me suis rassise, propre mais pas nettoyée de mes plaies internes, et j'ai continuée d'observer les voûtes gravées de mon plafond.
J'ai maintenu mon regard dans le vide. Ma pensée fixe et vagabonde se jouais de moi. Fixe, parce qu'elle ne quittait pas les yeux en amande et le sourire en coin, vagabonde, parce qu'elle suivait les courbes de ses draps, et c'était terrible.
Voilà une heure de plus que je suis ainsi, immobile et agitée à la fois.
Je me demande si Chosthovak y pense, lui aussi. Si, ayant connu Moïra, si, étant marié, ça a vraiment compté pour lui.
Est-ce que je suis un égarement ou est-ce que je suis un bouleversement ?
Je me souviens pourtant que je suis l'Oracle, que je cherche l'Araignée, que je dois garder ma place de major ; je sais bien qu'en comparaison aux âmes passées, aux massacres de la Rive, aux complots de la Régence, à la recherche du Zégaï, cette nuit ne vaut rien. Mais c'est comme ça : j'y pense.
« Maintenant...Joue. »
Mon estomac est tordu par la main du désir. Du regret. De la tristesse.
Et, en observant les dossiers que j'ai posé sur ma table de chevet, de la culpabilité.
Je me redresse, sur le lit moelleux, et tend la main vers eux.
Sans un bruit, comme si Chosthovak, où qu'il soit, risquait de m'entendre, j'attrape délicatement les pages remplies d'annotations diverses, et examine leurs contenus.
Les premières concernent Sofya Jalmada, la Rhéteur de la Vénérable Karass qu'on a retrouvée sur le gazon du Stikos, les yeux absents.
Je n'apprends rien, en lisant, que les souvenirs de Clara ne m'aient pas déjà transmis : Sofya était mourante. On lui avait diagnostiqué un bellianus très peu de temps avant son décès. Elle n'a même pas pu achever sa Rhétorique : « Les particules de non-vie dans les grottes inaccessibles : quelles nouvelles technologies mettre en place pour l'étude de la naissance d'espèces endémiques. »
Qui peut bien vouloir mener une rhétorique avec Rana Karass, sérieusement ?
Le dossier suivant m'intéresse plus que tout autre, puisqu'il s'agit de celui de Kléon Estrade. Lui aussi, mourant.
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La Troisième Rive [ROMANTAISY]
RandomTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...