32. L'ARAIGNEE (1)
Il est tout de même étonnant de voir autant de croyant, avec aussi peu de preuves. Vous me demandez mon avis quant à la passation d'âme ? A l'utilisation des Dons ? A l'éventualité d'un Zégaï parmi nous ? Je ne suis pas un croyant. Je suis un scientifique. Je me laisse le doute, en l'absence de preuve. Mais je m'autorise surtout la réflexion. Bien sûr qu'il y a les Dons. Mais ils peuvent très bien être une simple évolution, au même titre que la parole, ou la colonne vertébrale du bipède. Vous vénérez une Essence qui ne se manifeste jamais, et vous en oubliez d'observer ce qui déborde d'existence, tout autour de vous. Vous accusez les Continentaux de ne pas considérer le vivant, par égoïsme, par confort, pas paresse intellectuelle. Mais, Serviteurs ou Indisciples, quel que soit votre camp, je trouve étonnant que vous n'ayez jamais remarqué ce fait élémentaire et évident : vous faites exactement la même chose.
Déclaration de J.Langlois à l'Assemblée des Essences, trente ans plus tôt.
Travailler en secret à retrouver la mémoire avec Chosthovak a quelques avantages.
Le premier, je découvre d'autres pièces cachées insoupçonnées dans le Stikos, où il m'amène pour continuer à dresser la liste des suspects à l'abris des regards, et le second, et pas des moindres : je le vois tous les jours.
Bien sûr, on ne se frôle jamais et tous nos échanges sont enrobés d'une sorte de pudeur exagérée, comme pour être bien certain que ça n'arrivera sous aucun prétexte, mais enfin, je le vois, et c'est le principal. Pour le troisième soir consécutif.
Il m'a donc dévoilé l'existence d'autres pièces que « la nôtre » -je ne lui ai pas dit que j'appelais ainsi celle sous l'escalier du grand hall-.
Une dissimulée derrière la petite entrée de l'arrière-cours, déguisée en puit. C'est en réalité des escaliers, auxquels on accède en soulevant les barreaux de fer, et qui mènent à une ancienne étude abandonnée.
J'apprécie cet endroit plus que les autres ; l'obscurité et les livres poussiéreux donnent envie de fouiller pour découvrir les trésors enfouis du Stikos.
La seconde dans l'aile Ouest réservée aux troisièmes Cycles ; elle se trouve derrière un des dix-huit miroirs longeant le mur, mais il l'a jugée trop exigüe pour y rester une heure durant.
Et la troisième, sous l'alcôve du jardin où je déjeune avec Néhala, juste en face de la statue d'Ethiarque. Cette dernière pièce est plus ensoleillée que les autres, car ses fenêtres, déguisées en vitraux, donnent sur l'extérieur.
Chost attend toujours que les couloirs soient vides pour nous attirer dans les secrets du Stikos. La première fois que j'ai vu l'étude abandonnée où nous sommes ce soir, je lui ai demandé, émerveillée :
— Mais comment tu connais tous ces endroits ?
Il a elevé le bras pour dévoiler sa paume et rétorquer :
— C'est ma main, Kahn. Ma main qui s'étend jusque loiiiiin.
Reprenant mes mots, donc. Il redevient Chost petit, celui qui aime toujours me railler un peu. Mais il a tout de même fini par m'avouer que ces endroits étaient connus des Rhéteurs.
— Pas tous, a-t-il précisé. Mais dès la dernière année de Rhétorique, on nous les dévoile. C'est une sorte de tradition de passage. Doit y en avoir qu'on ne connait pas, ceci dit.
VOUS LISEZ
La Troisième Rive [ROMANTAISY]
AléatoireTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...