30. La Vénérable Claudia Kahn

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30. LA VENERABLE CLAUDIA KAHN




Tout me parait extraordinairement long jusqu'à 16 heures.

Mon déjeuner avec Néha au bas de la statue, mon Enseignement de Biologie diverse, mon duel de regard avec Nhils dans les gradins (que j'ai remporté).

Mon imagination n'a eu de cesse de me torturer pendant ces heures. Quel genre d'annonce va-t-il faire ? Pourquoi faudrait-il que je sois là ?

« J'ai fauté avec l'héritière Kahn. Et sachez qu'elle aime quand on étreint sa gorge un peu trop fort ».

Ou alors...

« L'Héritière Kahn est dès à présent renvoyée du Stikos définitivement, et annexée du Continent. Vous ne la reverrez jamais, et tant mieux ! ».

Ou mieux !

« Je vais être père, ma femme nous donnera un héritier dans quelques mois. Je me retire donc de l'enquête, et félicitez-moi. ».

C'est étonnant comme je peux régresser, quand il s'agit de lui. Ou s'agissait ? Car je n'ai aucune idée de qui est l'homme m'ayant affrontée tout à l'heure. Puissant. Sombre. Autoritaire.

Je l'ai si souvent vu trop léger, trop rieur, plein d'une malice parfois presqu'enfantine, que j'en oubliais en permanence sa véritable fonction, et sa place dans la hiérarchie sociale. Mais l'ordre atroce qu'il a lancé à la Protectrice, froid et sûr : « Baissez les yeux », m'a heurtée peut-être plus qu'elle.

« Méfie-toi des airs, Kahn ».

Bon sang, comme j'aurais dû écouter Araphël. Après tout, il est celui qui le connaît le mieux. Et comme je la comprends, à présent, sa phrase.

Avec aigreur, avec peine, avec inconfort...Mais je la comprends.

L'après-midi est enfin plein, et je rejoins la masse d'Apprenants agroupée dans la cour des Grands Penseurs, où une nouvelle estrade a été dressée.

Sur celle-ci, on peut admirer les Vénérables de leur tenue violette, la nouvelle Protectrice qui tente de paraître à son aise en dévisageant les derniers rangs de l'assistance -c'est-à-dire les premiers, seconds et troisièmes cycles, ceux qu'elle estime avoir le droit de regarder-, et aux côtés de la grande Vénérable, mains jointes devant lui, élégamment porteur de la cape verte des Avérés, Chosthovak Amaras, qui chuchote à Karass en attendant que tout le monde soit présent, en fixant quelqu'un plus bas.

Je cherche rapidement Araphël dans le rang des rhéteurs, au plus proche de la scène. Je reconnais sa tignasse châtaine à quelques mètres ; et à suivre le regard de Chosthovak planté sur l'estrade, ces deux-là s'observent.

La stature fière et impressionnante de l'Avéré sur la scène me déstabilise une fois de plus.

La nouvelle Protectrice est la première à parler ; elle s'avance, rappelle les règles concernant la sécurité des quartiers, les transports interdits de nuit, et le couvre-feu maintenu. Puis, Chost fait un pas, et le silence devient plein et absolu.

Au Stikos, on croise sans cesse des Avérés -impossible d'être un Vénérable sans cela-, alors on se soucie peut-être moins de leur place dans la hiérarchie qu'ailleurs sur le continent, mais là, il s'agit de l'Observateur, en pleine enquête.

On craint tous ce qui va sortir de sa bouche. Moi, plus que tout autre.

— Membres du Stikos et du Régent, salue-t-il.

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant