Chapitre II
De l'importance des traditions« Serviteurs, vous serez maîtres en ces lieux. Les créatures de la terre vous obéiront, car vous connaissez ma Parole, et savez ce qui est juste. Je vous confie les Dons, qui sont ma bénédiction. N'écoutez pas les lois des Hommes, car vous n'en êtes pas. N'écoutez pas la loi du lion, car j'ai fait ses canines tranchantes et les vôtres fragiles. N'écoutez pas la voix des eaux, car je les veux instables, et vous êtes mon socle. Chacun, vous serez maîtres et servants, bénis et maudits, dieux et mortels, en un seul être, une seule âme, une seule vie. »
Livre premier des Ecrits Fondateurs, « Paroles de l'Essence », poème 40.
Donc, il est de retour. Après onze mois d'absence. D'abord, le rêve dans la cave-à-baie, et maintenant, celui-ci, près de l'arbre. Il a contribué, depuis mon enfance, à entretenir mes croyances stériles concernant les Serviteurs.
Puis en premier Cycle, lors des Enseignements de la Vénérable Brahamil, « Initiation à la Psyché », je me suis forgé un autre avis, concernant l'homme sombre. Il n'a pas été évident d'accepter la réalité, le concernant : l'homme sombre, ce n'est rien d'autre qu'une manifestation inconsciente de ma propre noirceur.
Fin du mythe.
J'aimerais donc comprendre pourquoi il est de retour. Pourquoi mon cerveau décide de m'envoyer un message sous ses traits obscurs. Je ne suis pas particulièrement plus en colère que d'ordinaire, je dirais même que la vie dans les quartiers Sud m'a tant épuisée que j'y ai trouvé une forme d'apaisement. Je me débrouille plutôt bien en ce qui concerne mon rapport aux autres, j'entends par là que je n'en ai aucun et que ça me convient parfaitement. Alors pourquoi est-ce que je me remets à rêver de lui ?
Pourquoi maintenant ?
« Bientôt, Hélianne ». C'est ce qu'il a dit. Mais bientôt quoi ? Que me réserve mon tordu d'inconscient, cette fois ?
Je n'ai pas le temps d'élaborer des théories supplémentaires sur le sujet : je suis déjà en retard.
Les portes du Stikos sont fermées lorsque je les atteints en fin de course. Je vais encore devoir les escalader, attentive particulièrement aux piques qui peuvent écorcher les mains, sauter en risquant de me tordre une cheville et supplier intérieurement que la Vénérable Karass n'ait pas commencé son Enseignement.
Mais la Vénérable Karass n'a jamais de retard. Je cours à travers le couloir de l'aile ouest et arrive, essoufflée une nouvelle fois, devant la grande porte en bois close. Je déglutis, pour calmer ma respiration saccadée avant de frapper trois coups déterminés.
La professeure m'ouvre directement. C'est une femme à l'allure sèche et sévère, avec des cheveux blonds et ternes, qui, courts, accentuent l'aspect pointu de ses mâchoires et la raideur de son long nez.
— Dam Kahn, salue-t-elle dans un souffle doucereux. Vous demanderez aux Apprenants de vous donner mon cours. Bonne matinée à vous.
Avant que la porte ne se referme sur moi, j'entends quelques rires légers et satisfaits dans les rangs de la classe. Je crache un juron ; les Enseignements de la Vénérable Karass sont d'une complexité hors normes, et aucun Apprenant n'acceptera de me tendre la main. La grande bibliothèque fournit bien quelques résumés, mais rien qui puisse rattraper quatre heures d'Enseignement oral par la professeure elle-même.
C'est étrangement à cet instant qu'une musique apparait. J'en entends lointainement les notes assourdies, mais c'est...Oui. C'est bien ce morceau précis. Je suis très rarement touchée par les évènements de la vie. Mais là, alors que la colère était montée en moi, tout s'évince, parce que je perçois les notes. Je tends l'oreille pour localiser la mélodie, et laisse mes pas suivre mon ouïe. Il faut dépasser le couloir et se tromper, revenir sur mes pas, longer le mur des salles d'Etude, et enfin, la musique est totale et concrète.
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La Troisième Rive [ROMANTAISY]
De TodoTome I : Les ténèbres du Stikos Un autre monde, d'autres lois, d'autres légendes... Au Stikos, où l'on forme l'élite du Continent Régent, on ne croit pas aux légendes. Pas même à celle des Passeurs d'âmes. Pourtant Hélianne Kahn, l'orpheline si d...