27. Un nouveau langage (1)

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27. UN NOUVEAU LANGAGE (1)



Il faudra attendre qu'une âme soit complète, pour la passer dans la troisième Rive. Il faudra pour cela plusieurs vies, et plusieurs morts. L'âme passera de corps en corps, jusqu'à être totale, et son Passeur la reconnaîtra au moment de « l'Appel ». Rappelez-vous, Serviteurs, que vous n'êtes qu'une partie d'un grand cercle ; renoncez à l'âme, et vous accomplirez votre tâche. Aimez-la comme vous aimez la vie, et vous partirez avec elle. Une âme n'est qu'une goutte dans l'océan, qu'une flamme parmi le feu, qu'un souffle au chœur du vent. Pour être en harmonie avec tous et dans tout, il te faut renoncer à toi-même, et renoncer à tes âmes. Tu es de passage, sur cette Rive. Tout comme les âmes que tu accompagnes. Tout est éphémère, et rien ne compte moins que toi-même.

Livre premier des Ecrits Fondateurs, sixième poème : « Le renoncement ».




J'ai la tête pleine des souvenirs de Clara, en échos, comme une empreinte. Et, c'est portée par le respect et l'affection qu'elle éprouvait pour Chosthovak que je parviens à me guider jusqu'aux quartiers Est.

Il faut poursuivre l'enquête, et je devrais passer par lui. Mais je n'ai aucune idée de la façon dont il va m'accueillir. Nous nous embrassés, c'était extraordinaire, certes, mais c'était aussi un instant suspendu dans notre conflit silencieux.

Que pense Clara de cette affaire, d'ailleurs ? En dépassant la bordure des ruelles du Nord, je fouille en elle. Elle pense que Chost ment. Elle croit qu'il n'a pas trahi ma mère. Je n'ai accès à rien de précis, mais cette émotion là se distingue dans le brouhaha des autres.

Le soleil tape le haut de mon front, mais bientôt, l'élévation des immeubles l'en protège. J'arrive à l'entrée de la grande rue commerçante où vit Chost. Je retrouve aisément son immeuble de trois étages.

Je passe les portes vitrées, et grimpe les deux étages en me répétant que je fais ce que je dois faire, puisque le nom est en moi, « L'Araignée », et que cela compte plus que tout.

Cependant, lorsque j'atteins sa porte grise, dans le silence du couloir, je me mets à douter. Non de la justification de ma présence, mais tout simplement du fait qu'il soit là.

C'est le début d'après-midi, il y a peu de chance qu'il se trouve chez lui. Il peut être à la Protection, à la délégation d'EE, au Stikos, chez des témoins.

J'ai finalement peu d'espoir en frappant trois coups à la porte. Et cela me protège des assauts de mon cœur à l'idée de le voir. Je repasserai, un autre jour, lorsque je ne tremblerai plus autant, par exemple.

Pourtant, j'entends du bruit. Clara au fond de moi, m'assure, par son expérience, que Chosthovak est « quelqu'un de bien ». La torsion retrouve son logement, dans mon ventre. Il va ouvrir, il va me voir... Et que va-t-il faire de ça ?

Je respire difficilement, tout à coup.

Puis, le son du loquet offre un raté à mon cœur. Et la porte s'ouvre sur lui. Décoiffé, cerné, dans un long pull noir déformé, le reste de ses habits tout aussi délabré, il semble épuisé. Il lève ses deux sourcils noirs en me reconnaissant, moi, sur son seuil. Puis il passe la tête dans l'encadrement, regarde tout autour de lui, et revient à sa position.

Chost soupire exagérément, avant de boire une gorgée de la baie brune que tient sa main droite :

— Tu sais Kahn, lance-t-il après déglutition, j'apprécie vraiment tes visites surprises. On ne sait jamais à quoi s'attendre, une gifle, un baiser, une menace de mort...et ça ajoute un peu de piquant au risque inhérent de l'existence à sombrer dans une spirale de banalité, mais...ne viens jamais ici sans me prévenir.

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant