XXI. La Célébration (2)

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Chapitre XXI
La célébration (2)



Les invités exceptionnels, conjoint, enfants, parents des Avérés ou Rhéteurs, sont enfin arrivés à leur tour. A présent, les convives se noient, dans la tempête de leur conversation, la musique efface toute trace de dialogue au milieu de la foule, si bien qu'il nous est impossible, à Néha et moi, de les entendre, et de fabriquer des ragots avec les mots suspendus. J'observe où mes yeux le permettent, pris dans un tourbillon étincelant de bijoux, de lustres, de baie-jaune, de dents blanches.

J'aperçois tout de même la Vénérable Karass, qui, sous sa cape Verte, s'est vêtue d'une longue robe de satin sombre ; elle est en compagnie de deux Avérés dont j'ignore les fonctions, et elle rit.

— Tiens, noté-je, piquée de surprise et d'amusement. Tu savais qu'elle pouvait rire, toi ?

— Ça ? rétorque Néhala. Non, c'est un rictus, avant sa transformation finale. Ils le font tous, à la pleine lune.

C'est à mon tour de faire scintiller l'endroit : mon éclat de rire amène plusieurs têtes à se tourner vers notre partie du buffet.

Tout le monde redoute un peu la demi-heure qui s'écoule, car elle sera suivie des danses des apprenants. Moment de gêne annuel, où les yeux scrutent chaque mauvais pas, et chaque pli de robe. J'en serai au moins épargnée.

Même si ma robe est déjà suffisamment détaillée comme ça, depuis l'ouverture de la Célébration. Tous les deuxièmes cycles sont déjà passés devant moi pour m'offrir un commentaire désagréable. J'ai entendu Haaron Oular s'étonner que je sois aussi « levante » sans mes guenilles. Terme plus ou moins élégant pour dire « désirable ».

J'essaye de ne pas en tenir compte, mais c'est douloureux. Comme je l'avais présagé devant mon miroir : je ne m'appartiens plus tout à fait. Et je n'oublie pas. Je n'oublie rien.

Combien j'ai eu faim, et comment aucun d'entre eux ne m'a tendu la main. Comment ils ont fait tomber ma mère et se sont délectés de sa chute. Je n'oublie pas ma haine, intacte et fière.

Et maintenant...Maintenant on me regarde comme si je faisais partie du buffet. On admire mes courbes, mon corps, on se l'approprie d'un regard et ne me laisse pas le choix. Leurs yeux me mangent ; je ne peux pas m'opposer à leurs yeux.

Néhala m'abandonne, le temps de délester d'une vessie trop pleine de baie-jaune. Et je ne l'accompagne pas ; il faudrait pour cela scinder la foule et subir d'autant plus de regards. Je préfère ma partie du buffet, exposée, certes, mais moins qu'une traversée complète de la grande salle.

— Joli cul, qui l'aurait cru ... ?

Cette voix sifflante est celle d'une des sbires de Nhils. Je grince. Je ne dis rien. D'ordinaire, j'aurais lâché une répartie, mais ce soir, c'est trop. Tout est trop. Et ma concentration s'occupe surtout des pierres.

Je parviens à me calmer. Mon souffle. L'absence de vie. Mes muscles. La neutralité. Mais une odeur de bois chaud vient tout gâcher.

Je n'ai pas besoin de tourner la tête à droite, je sais qu'il est là. Je l'ai senti olfactivement, comme émotionnellement.

L'Observateur vient de se poster de mon côté du buffet. Je risque un coup d'œil, discret, en biais, dans sa direction, le temps d'admirer sa façon de porter la cape des Avérés et la broche en flamme du savoir. Le temps de regretter aussi, ses vêtements usés, trop larges et je m'en foutiste.

Chost observe la salle, d'un air vague, comme s'il s'ennuyait un peu. Il lève ponctuellement sa coupe de baie-jaune à un convive, boit, et agit comme s'il n'avait pas réalisé ma présence. Jusqu'au moment où sa voix résonne près de moi, basse, et précisément à mon attention :

La Troisième Rive [ROMANTAISY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant