46. this is what makes us girls

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Chloé Leclerc - 18 décembre 2023

Mes yeux se croisent. Il doit être un peu plus de minuit. Je tiens une perle dans ma main gauche et une aiguille dans la droite. J'essaie vainement de faire passer la fine pointe de métal à travers le nacre, mais je n'y arriverai jamais. Mes mains se mettent à trembler. Je m'arrête pour bailler sans couvrir ma bouche.

Sasha est assise face à moi. Elle aussi a du mal à garder ses paupières ouvertes. Elle dodeline en chantonnant un vieux tube de Britney Spears. Je reprends l'air sans même m'en rendre compte. Mon cerveau a grillé. Anna a déjà abandonné. La tête appuyée sur ses bras, elle marmonne:

- J'ai tellement faim...

Et au moment où elle finit sa phrase, son ventre gargouille. Je suis si fatiguée que j'éclate de rire, comme si c'était la chose la plus drôle qui me soit arrivée de ma vie. Nous sommes à bout de nerfs. Anna se relève subitement en déclarant:

- Ça suffit! On arrête! Il est minuit! On a passé la journée sur cette robe!

Surprise par la vivacité de sa voix, je jette un coup d'œil inquiet sur le côté. Il n'y a plus personne. En réalité, l'atelier est désert depuis plusieurs heures. Les stylistes se sont tirés en nous rappelant que le défilé approchait et qu'il ne nous restait que cette semaine pour finir la robe. Je soupire:

- On terminera demain...

Sasha, qui est la plus endurante de nous trois, se redresse sur sa chaise et s'étire. C'est elle qui nous tire en avant. Je m'attends à ce qu'elle proteste, mais elle laisse tomber ses mains sur l'établi en soufflant:

- Ok. Fini pour aujourd'hui.

Anna accueille la nouvelle avec un franc sourire. Quant à moi, la perspective de rejoindre mon lit me donne un coup de fouet. Je saute sur mes deux pieds et enfile mon manteau d'hiver, prête à courir pour attraper le dernier métro. Sasha me retient par le bras:

- Et si on commandait des pizzas ce soir?

- Bonne idée!

Anna est déjà en train de composer un numéro sur son téléphone, alors que Sasha m'implore de son grand regard:

- Allez, Chloé! Reste pour une fois!

C'est vrai que j'ai tendance à rentrer chez moi dès que je suis libérée de mon travail. C'est encore nouveau pour moi d'avoir une vie professionnelle et des collègues. À vrai dire, c'est même bizarre d'avoir une vie tout court. Une existence qui n'est pas liée à ma famille, à la Formule 1 ou à Max. Je suis libre de faire ce dont j'ai envie désormais et j'ai parfois du mal à m'en souvenir. J'hésite une seconde, puis me rassieds:

- Ok! Je reste!

Et rien que parce que j'ai pris cette initiative, je me mets à rigoler de bon cœur. Sasha sourit elle aussi. Il y a quelque chose dans son regard: une pointe d'étonnement, saupoudrée de satisfaction. Elle ne s'attendait sûrement pas à ce que je reste. Elle prend ma main par-dessus la table en disant:

- C'est bien que tu restes. Dans la vie, il n'y a pas que le travail.

J'acquiesce en souriant. J'aimerais lui répondre que dans ma vie, il n'y a longtemps eu que le sexe et l'insouciance, mais je n'ose pas. Elles ne savent pas qui je suis vraiment. J'ai peur de les décevoir. Anna nous interpelle:

bad girls do it well // Max VerstappenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant