Chapitre 17 La frontière

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Hilda

Ma petite Lindi... Je la contemplais alors qu'elle était allongé sur son lit, les marques de brûlures et les autres blessures qui ornaient son corps en disaient long sur son combat. Affronter un Dreki seule était un exploit qui dépassait l'ordinaire. Bien que les deux aînées aient porté le coup de grâce, elles ne pouvaient se targuer d'aucun mérite. Le seul mérite revenait à ma... ma petite Lindi.

Depuis sa naissance, notre lien fraternel était devenu notre ancre, nous reliant indéfectiblement l'une à l'autre. Père avait eu tellement d'amantes et d'enfants qu'une forte rivalité et mépris s'étaient instaurés au sein de notre grande fratrie. Les fils et filles de Frigg se considéraient comme supérieurs, méprisant leurs demi-frères et demi-sœurs, les traitant comme des moins que rien. Ils ne les toléraient que parce que père voulait choyer tous ses enfants, peu importe qui était leur mère. Parmi les enfants légitimes de père, seul Thor s'était montré bienveillant et chaleureux envers ses demi-frères et sœurs. Le reste de cette petite bande d'arrogants suscitait en moi un profond dégoût. Brindille, ainsi surnommée par Thor, avait accompli l'impossible. Je n'étais pas dupe, et nombre d'Einherjar partageaient ma façon de penser. Sigrdrífa et Göndul s'étaient arrogé les mérites de la mort du Dreki, mais il était agonisant. Ma chère Lindi leur avait mâché tout le travail et en avait payé un lourd tribus.

- Hilda? Fit ma sœur en me tenant la main, alors que mon esprit tourbillonnait de colère.

- Lindi !!! emporté telles des feuilles mortes par une bourrasque, je me précipitai vers ma sœur pour lui embrasser le front, passant mes bras autour d'elle dans une étreinte, ne voulant plus la lâcher, comme si j'avais peur de la voir disparaître.

- J'ai tenu tête à un Dreki, mais je crois que je vais être vaincu par ma propre sœur, déclara ma petite sœur en me donnant une petite tape sur les épaules pour me faire comprendre de desserrer mon étreinte.

- Désolé Lindi... déclarai-je, les émotions débordant presque de mes yeux. Lorsqu'on t'a amenée ici... tu aurais vu dans l'état où tu étais, finis-je en laissant finalement couler une larme solitaire le long de ma joue.

- Heureusement, tout est fini. Le Dreki est mort grâce à Sigrdrífa et Göndul.

- Oui, enfin, tu leur as mâché une grosse partie du travail... ces deux pestes se sont empressées d'aller voir père pour en tirer tous les honneurs.

- Je suis amère, ne crois pas le contraire, mais que puis-je faire? Peu importe les efforts dont j'ai fait preuve, Sigrdrífa et Göndul sont celles qui ont pourfendu le Dreki. Elle marqua une pause, comme si elle hésitait devant les mots à choisir, puis me regarda dans les yeux avec une lueur d'inquiétude qui me troubla. "Duncan s'en est-il sorti?"

- Ton Housecarl? Oui, il était dans un état déplorable, mais grâce aux soins de Dame Idunn, il survivra.

Elle esquissa un sourire, semblant soulagée de ma réponse. Je gardais le silence, consciente de l'attachement particulier qu'elle entretenait avec Duncan. Il était le premier Einheri qu'elle avait eu sous ses ordres et qu'elle avait élevé au rang de Housecarl. Rien d'exceptionnel en général, car ce titre est généralement réservé aux dix premiers Einherjar d'une Valkyrie. Pour ma part, je l'avais octroyé à mon cinquième Einheri. Un Housecarl étant le second d'une Valkyrie, une certaine proximité se crée naturellement. Cependant, il était évident que Sieglinde éprouvait un attachement profond envers Duncan. Le simple fait qu'elle avait refusé de l'abandonner et avait choisi d'affronter ce Dreki de front en disait suffisamment pour comprendre qu'elle le considérait bien au-delà de son rôle de Housecarl.

Elle se trouvait à une frontière dangereuse, une limite qu'elle ne franchirait peut-être jamais, du moins, je l'espérais ardemment. Dans notre histoire, seule l'une de nos sœurs... La toute première Valkyrie, s'était éprise d'un Humain. Leur destin avait fini de façon tragique.

- Tu crois que tu peux marcher Lindi? Je t'emmène voir ton Housecarl, demandai-je, un peu honteuse car je voulais voir de mes propres yeux leur interaction afin de confirmer ou non mes craintes.


Elle hocha la tête et se leva lentement de son lit, claudiquant encore un peu. Je lui offris mon bras pour qu'elle puisse marcher sans prendre de risques. Après l'avoir aidée à enfiler une robe, nous avons parcouru le long couloir du Valhalla jusqu'à la chambre de Duncan MacReady. J'entrepris de frapper à la porte, sa voix passa au travers disant qu'on pouvait entrer.

Il était allongé sur son lit en train de lire un manuel de sculpture sur bois et fut surpris de nous voir, ma sœur et moi.

- Dame Sieglinde, Dame Hilda?

Il voulait se montrer respectueux en nous saluant debout, mais je l'arrêtai avant. Il était dans un état similaire à ma sœur, et je n'étais pas aussi rigide sur le protocole que les neuf aînées. Je récupérai la chaise de sa chambre et aidai ma sœur à s'y asseoir, tandis que je restais debout.

- Duncan, vous voir en meilleure forme réchauffe mon cœur, demanda Sieglinde.

- Les soins de Dame Idunn égalent ceux du peuple de votre mère. Dès demain, je serai rétabli et je pourrai reprendre les entraînements.

- Personne ne vous en voudra si vous vous reposez quelques jours.

- Je suis votre Housecarl, je dois être encore meilleur afin de pouvoir vous assister. Je me sens déjà assez minable comme ça...

Sieglinde sursauta légèrement, visiblement affectée par les paroles de Duncan. Elle posa ses deux mains sur le bras de son Housecarl et le regarda avec beaucoup de peine.

- Personne n'est infaillible, Einheri Duncan. Vous avez sauvé ma sœur lors de cette chute. Vous avez ma gratitude, ainsi que celle du père de tout, déclarai-je, voulant lui apporter un peu de réconfort.

Après avoir continué d'échanger quelques mots, Sieglinde voulut laisser Duncan se reposer. Alors que je raccompagnais ma sœur vers sa chambre, je réfléchissais à la situation qui était devenue plus claire. Il sautait aux yeux que Duncan était sous le charme de ma sœur. Son regard fuyant, mais qui malgré tout n'arrivait pas à se détacher de son visage, en disait long. Toutefois, Sieglinde, malgré son attachement évident à Duncan, restait peut-être inconsciente de la profondeur des sentiments qu'il nourrissait à son égard.

Arrivées dans sa chambre, Sieglinde s'assit sur le bord du lit, son regard perdu dans le vague. Je m'installai à ses côtés, cherchant à comprendre les pensées qui l'assaillaient.

- Lindi, que penses-tu de Duncan? osai-je demander, brisant le silence qui pesait dans la pièce.

- Il est un excellent guerrier et un Housecarl dévoué.

- Rien de plus? Lindi, tu es ma sœur. Tu sais que nous ne pouvons rien nous cacher. Je ne suis pas aveugle comme ce malheureux Höd*. Toi et Duncan avez un lien spécial.

- Oui, je le reconnais... J'ai tenté de me comporter comme les neuf aînées, mais avec Duncan, je n'y arrive pas. Lui et moi avons plusieurs fois frôlé la mort. Il est mon Housecarl, mais au fil du temps j'en suis venu à le traiter comme un ami, je me sens proche de lui comme je le suis avec toi.

- Je comprends, ne t'inquiète pas... moi-même je suis plus proche avec certains de mes Housecarl, mais avec Duncan, ton lien semble bien plus fort... tu es ma sœur, je ne veux pas qu'il t'arrive un malheur.

- Mais de quoi tu parles?

- Rien... rien, mais prends garde à ne pas briser totalement la frontière qu'il y a entre une Valkyrie et un Einheri.

* Höd : Dieu aveugle qui tue involontairement Baldr suite à une ruse de Loki

Les amants du ValhallaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant