Rester dans la même pièce que lui m'est insupportable, j'ai envie de lui vomir un flot de haine à la figure. Mais à quoi bon ? Cela fait maintenant quatre ans que ça s'est passé, il y a prescription. Je pensais que j'étais passé à autre chose, mais quand je l'ai vu mon cœur n'a pas pu s'empêcher de s'emballer. Stupide organe vital !
Je suis dans ma chambre depuis seulement quinze minutes lorsque j'entends le bruit de la porte d'entrée qui claque en bas. Je me précipite, avec curiosité, à la fenêtre pour voir quelle est la personne qui s'en va. La chambre d'amis de la petite maison de Sam et Robert donne directement sur le devant, côté rue. Je peux espionner à travers la vitre et le rideau persienne à moitié ouvert. J'aperçois sa silhouette de dos. Il a toujours le pas assuré, il se tient droit et je peux très bien voir les muscles de son dos bouger malgré son stupide polo. Il s'arrête devant sa voiture, il doit sûrement sentir mon regard meurtrier dans son dos parce qu'il se retourne et ses yeux se fixent directement sur moi. Il ose un signe de la main en levant le bras, son sourire tendre sur le visage, mais je ferme le rideau pour ne plus l'apercevoir. Stupide James !
Si tu savais comme je déteste tout ce que tu fais à mon cœur. Je m'approche du lit et me laisse tomber en arrière sur la couche moelleuse en fixant le plafond. Je laisse mes pensées s'envoler dans mes souvenirs délaissés depuis des années.
Je repense à ces instants volés où nous avons fait s'arrêter le temps, à cette bulle que nous avions créée juste pour nous, à ces baisers partagés, ces caresses désirées, tous ces mots chuchotés... Plus j'y pense, plus la réalité me rattrape et la couverture de la solitude vient enserrer mon âme solidement. Je sens une larme couler le long de ma tempe, je l'essuie avec un revers énervé de la main avant qu'elle ne puisse s'échouer à la racine de mes cheveux. Stupide James ! Je déteste tout ce que tu me fais ressentir. Ces sentiments que j'avais enfouis au fond de moi refont surface tout d'un coup. Je déteste t'avoir aimé à en perdre haleine, j'aurais préféré mourir plutôt que de vivre tous ces mois de souffrance. Je déteste que mon cœur aimerait encore que tu le serres contre toi. Stupide organe vital ! Je déteste savoir qu'à tout moment, tu pourrais reprendre le contrôle sur moi, je me rends compte que j'ai passé toutes ces années à essayer de m'endurcir, mais en un regard tu as su m'affaiblir. Je te déteste James Porter ! Et par-dessus tout, je déteste le fait de ne pas réussir à te détester vraiment. Je ferme les yeux en inspirant profondément, j'ai la gorge nouée, j'ai du mal à déglutir.
Sa nouvelle image me percute de plein fouet. Ses yeux verts qui se cachent derrière ses lunettes sont restés tendres. Son stupide nez cassé ! Lorsqu'il avait quatorze ans, James s'était fait tabasser pendant un match de rugby au lycée. Son nez avait été définitivement cassé, comme s'il n'avait plus d'arête. Le dos aplati, seul le bout ressort comme une patate au milieu de sa figure. Un peu comme les bébés lorsqu'ils naissent on ne voit que le bout. Cela lui donne du caractère, un charme fou. Il a aussi une cicatrice gravée sur la pommette, elle est blanche et ne se voit à peine, mais je sais qu'elle est là, j'ai passé bien trop de fois mon index dessus pour la redessiner. Bon sang ! Qu'est-ce que je déteste ça ! Et sa stupide barbe ! Il est vraiment beau avec une barbe, j'aurais aimé savoir quel effet elle a sous ma paume si j'avais pu passer ma main dessus en lui caressant la joue. Stupide James !
*
Je ne sais pas à quelle heure je me suis endormi, mon sommeil a été lourd et étrangement réparateur. Je suis tombé comme une masse, mon cerveau n'a même pas eu le temps de réfléchir qu'il s'est directement mis en mode OFF. Je m'étire de tout mon long, je tends le bras pour attraper la télécommande du ventilateur afin de l'éteindre et prends mon téléphone sur la table de chevet. Il est onze heures passées, je vois que j'ai deux nouveaux messages et qu'ils proviennent de la même personne. Roy. Je souris en appuyant sur le bouton vert pour lancer l'appel.
— Tango à Charlie, est-ce une heure pour se réveiller ? répond Roy à l'autre bout du fil.
— Tu sais très bien qu'il y avait une soirée chez mon frère et que je n'allais pas me lever tôt.
— Alors, ça s'est bien passé ? Dis, quand je t'ai déposé hier soir c'était bien James Porter que j'ai vu sur le palier ?
— Oui c'était bien lui, stupide James !
— Bordel, qu'est-ce qu'il a changé, mais je suis persuadé qu'aujourd'hui je pourrais lui mettre la misère !
— Tu auras peut-être une chance de le faire, dis-je d'un ton jovial.
— Ah oui ? Et comment ?
— Rob' nous a proposé de venir passer des vacances dans la maison de vacances de ses parents à Newquay, j'ai demandé si tu pouvais venir.
— Attends, tu penses que j'ai envie de passer mes vacances d'été avec toi ?
— Roy !
J'entends son rire qui explose mon oreille, je recule mon téléphone de quelques centimètres pour ne pas manquer de perdre l'audition.
— Je vais y réfléchir.
— S'il te plaît !
— Pourquoi tiens-tu tellement à ce que je vienne ?
— Parce que t'es mon meilleur ami et que je suis sûr qu'on va bien s'amuser.
Bien sûr, en dehors de Robert et Sam personne ne se souvient vraiment de Roy. Nous étions deux garçons sans grands intérêts à l'école. Plutôt discrets et toujours fourrés à la bibliothèque, un bouquin à la main ou en train de longer les murs pour éviter qu'on vienne nous importuner. Nous n'étions pas vraiment des adolescents populaires. Pourtant, les rois et reines du lycée avaient tendance à nous prendre pour cibles. Roy avait été plusieurs fois victime de moqueries surtout de la part des joueurs de l'équipe de rugby. On m'embêtait moins parce que j'étais le petit frère de Sam.
La voix de mon meilleur ami me ramène au présent et à notre conversation téléphonique. Il se racle la gorge.
— Et, tu penses que Miles va te laisser partir ?
Mon estomac se noue, je n'y avais pas pensé mais ce n'est finalement qu'un détail, pourtant pas des moindres.
— J'en fais mon affaire, ne t'inquiète pas.
J'écourte la conversation puis raccroche. Je me redresse dans mon lit et je vais à la fenêtre pour savoir comment je vais m'habiller. Le soleil est toujours aussi brillant dans le ciel mais je constate que d'énormes nuages gris, presque bleus, vont certainement recouvrir l'atmosphère d'ici quelques heures. Cela fait plusieurs jours que nous souffrons de chaleur sous un soleil de plomb, je dois dire que je suis presque heureux de retrouver la grisaille. Ceci ne serait pas l'Angleterre sinon. Je file dans la salle de bain, je dois aller voir Miles. Il ne peut pas m'empêcher de partir, mais il va très certainement me demander quelque chose en échange. Il me surveille de près et même si cela a un côté rassurant d'avoir une sorte de garde du corps qui surveille mes faits et gestes, je commence à me sentir oppressé. Sous l'eau chaude de la douche, je ferme les yeux et alors que je me savonne, je vois apparaitre ses yeux verts qui me regardent amoureusement. Je peste en ouvrant à nouveau les yeux, et dire que je l'avais presque oublié. Stupide James !
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Stupide James ! [MM]
RomanceA Londres, depuis quelques temps, James a pris l'habitude de faire faux bond à sa bande d'amis, préférant se faire absorber dans le tourbillon du "métro, boulot, dodo". Il finit par accepter de les rejoindre lors d'une soirée, seulement James ne s'...