9) River

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James me fait face mais je n'arrive pas à soutenir son regard, tout ce que j'y vois désormais c'est de la pitié et il est la seule personne que je refuse de me voir ainsi. Je retire lentement ma main de son emprise. Il essaie de se rapprocher mais plus il s'avance et plus je recule, j'ouvre la porte de l'arrière de la réserve en tendant le bras pour qu'il ne me suive pas. Il prend mon bras et le baisse lentement. J'ai l'impression que le mouvement se fait au ralenti, il resserre la distance entre nous. Mes yeux commencent à s'humidifier, je sens une larme menacer de couler sur ma joue, je baisse la tête. Il fait encore un pas et je peux le sentir hésitant, je vois ses bras s'approcher pour m'étreindre, mais je sais que s'il me touche je suis foutu. Je repousse violemment ses bras et renifle en avalant difficilement ma honte et ma colère.

— Ne fais pas ça !

— River, nous devons parler.

— Hey ! Vous n'avez pas le droit de vous trouver ici !

James se retourne et je peux voir derrière lui Ragnar, un des vigiles, qui s'approche rapidement de nous. Il me fait face à nouveau, il cherche quelque chose dans sa poche pour finir par me glisser un papier dans le creux de la main.

— S'il te plait, contacte-moi, chuchote-t-il.

Contemplant ma mine dépitée, le vigile attrape James par le bras assez brusquement et l'incite à le suivre. Je lui indique que c'est un malentendu et que ce n'est pas lui qui m'a mis dans cet état, il se trouvait juste là au mauvais moment.

J'ouvre enfin la porte et vais dans notre petite cour extérieure destinée aux salariés pour m'allumer une cigarette dont j'ai grandement besoin.

— Ben alors mon chou ça ne va pas ?

Je sursaute, je n'avais pas vu Yanis qui se tient contre le mur un peu plus loin dans la pénombre. Je renifle et essuie rapidement mes larmes, j'inspire la fumée nerveusement avant de la recracher, la lèvre tremblante.

— C'est rien, ne t'en fais pas.

— Tu sais, ce qui se dit entre nous reste ici.

— Je le sais, mais il n'y a rien, seulement un client qui m'a vexé et je suis fatigué alors je l'ai mal pris.

Nous savons tous ici que Yanis est celui qui rapporte tout ce qu'il voit et ce qu'il entend à Miles. Je mettrais ma main à couper que Miles ne va pas tarder à me parler de cet incident et qu'il va me demander des explications, alors il vaut mieux pour moi que je brode quelque chose de stupide. Il n'insiste pas et retourne à l'intérieur du bâtiment. Je m'assois alors sur le rebord de béton, je fronce mes sourcils en me rendant compte que j'ai un bout de papier cartonné dans la main. Je le regarde et le mets en face de mon visage pour pouvoir mieux le lire à la lumière du néon accroché derrière moi. C'est une carte de visite professionnelle. Stupide James ! Si tu penses que je vais te contacter tu te fourres le doigt dans l'œil !

Je froisse comme je peux ce morceau de papier et je le jette en direction de la poubelle, il rebondit contre le rebord en plastique et tombe au sol. Je peste en fixant cette boule irrégulière perdue là sur le goudron. Je repense à son regard de pitié et cela me fait froncer les sourcils. Je ne me suis jamais senti mal de travailler dans un endroit comme le Twisties. Il est vrai que je ne m'en vente pas pour autant mais je n'ai rien à me reprocher, mon travail de serveur me rapporte de très bons pourboires. Merde, pourquoi fallait-il qu'il soit là ? C'est vrai ça ! Que faisait-il dans ce club ? De tous les bars gays de Londres il fallait qu'il vienne dans celui où je travaille ? Je trouve ça étrange qu'il soit venu dans ce quartier.

Lorsque je me suis aventuré dans ce voisinage je savais que j'avais très peu de chance de tomber sur mon frère et Robert. J'ai fini par trouver Sean et pensant que je trouverais là un pansement à mon cœur, une excitation d'interdit, c'est avec lui que je traçais finalement doucement ma descente aux Enfers.

J'étais un oiseau apeuré qui s'approchait d'un bois dangereux, mais comme les insectes à la lumière, je n'ai pas pu m'empêcher de m'envoler vers les flammes. Ce feu c'était Sean. Dès qu'il a posé ses yeux sur moi, c'était comme si une étincelle, depuis longtemps endormie, se mettait à scintiller, j'ai été attiré et dans son emprise je me suis laissé attacher. Je l'ai rencontré il y a plus d'un an et je me suis lancé dans le tourbillon brûlant dans lequel il m'a emporté. Nous avions l'habitude de venir au club, nous n'avions pas besoin de payer les consommations puisque son frère en est le gérant. Nous allions surtout du côté club que du côté bar où les danseurs font les stripteases. Je disais amen à tout ce qu'il me demandait et je me pliais à tous ses désirs, j'étais sien, il m'avait attrapé et je ne pouvais plus m'échapper. Je rentrais de moins en moins chez mes parents, je restais chez Sean, parfois on ne faisait rien de la journée à part baiser dans toutes les positions qui nous faisaient envie, on vivait dans une bulle toxique et je me perdais un peu plus chaque jour, n'ayant plus aucune notion du temps, ni de mon être.

Un après-midi Sean s'est fait arrêter par la police pour agression. C'est ce qu'il s'est dit à la surface mais Miles m'a expliqué que c'était un problème de drogue. Le dealer a écopé d'une peine de sept ans de prison pour possession de drogues et Sean qui allait pour acheter sa consommation a pris une peine d'un an. Les policiers n'ont pas trouvé de drogues sur lui mais il testait positif à celles-ci après avoir faire les tests médicaux. Heureusement pour lui, Miles avait nettoyé leur appartement avant que la brigade vienne tout fouiller chez eux de fond en comble. J'ai été interpellé pour répondre à des questions, j'étais de nouveau seul et apeuré mais ils n'ont rien pu tirer de moi. J'ai continué à vivre chez eux, mais je ne consommais plus, je n'en voyais plus aucun intérêt. J'étais seulement dépendant de Sean, je fume de l'herbe de temps en temps pour m'apaiser mais rien de plus fort. Je suis clean et je préfère être comme cela. J'ai commencé à travailler pour Miles il y a quelques mois. Je n'allais déjà plus en cours depuis un bon moment et il fallait que je me fasse de l'argent pour pouvoir partir de là. Miles m'a finalement demandé de quitter leur appartement il y a un mois parce qu'il voulait que sa petite amie vienne s'installer et il avait envie d'être seul avec elle. C'est comme cela que je me suis retrouvé à aller demander un toit auprès de Sam. Je n'avais pas la force d'affronter mes parents après tout ça, de toute manière ils m'avaient déjà mis à « la rue » et puis, je sais que je peux toujours compter sur mon frère.

J'écrase ma cigarette au sol puis je me lève pour aller jeter le mégot, je m'abaisse pour ramasser la boule de papier au sol, je l'observe encore quelques instants et je finis par tout jeter dans la poubelle. La porte s'ouvre brusquement dans un grincement digne d'un film d'horreur et Miles apparait dans l'encadrement.

— Yanis m'a dit que tu n'étais pas bien ?

Bien sûr qu'il lui a dit, je lève les yeux au ciel.

— Ne t'en fais pas, juste un coup de mou.

— Tu veux que je vire le client ou celui qui t'a suivi ?

— Pas besoin, il m'a proposé un moment intime avec lui et ça ne m'a pas plu.

— Et le client qui t'a rattrapé ? Apparemment, ils font partis de la même table c'est Ragnar qui m'en a informé.

— Il est simplement venu s'excuser du comportement abusif de son ami. Il a été poli. Laisse-tomber, d'accord ? Laisse Yanis les servir je suis sûr qu'il sera ravi de faire des extras.

Je souris sarcastiquement avant de passer devant lui pour retourner dans le club.


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Stupide James ! [MM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant