Calliope
Un lourd soupir s'expulse bruyamment de mes lèvres. Je laisse ma tête retomber en arrière et ferme les yeux en reprenant mon souffle.
Allez, Calliope, tu peux le faire !
Là, plantée devant le miroir de ma chambre, je rentre les fesses et retiens ma respiration en me tortillant pour faire passer mon baggy par-dessus mes hanches. Lorsqu'enfin j'y parviens, je fais un dernier petit effort pour refermer le bouton et expire un long moment en m'essuyant le front.
Bordel, c'est du sport.
Je maudis ce foutu règlement intérieur qui nous interdit de porter des pantalons de survêtement en cours.
Qui a décidé ça d'abord ?!
Cet été, c'était le pied, j'ai pu passer l'entièreté de mes journées bien confortablement dans mes joggings larges et mes chaussons. Mais aujourd'hui, mon paradis molletonné se termine. J'ai peut-être un peu abusé sur la malbouffe durant les vacances, j'ai l'impression que mes formes sont encore plus volumineuses qu'avant. Je ne remercie pas ma mère pour ça, j'ai hérité de ses gènes apparemment. En plus d'être tout aussi petite qu'elle, j'ai un gros cul qui ne rentre même plus dans des jeans baggy. D'ailleurs, sur moi il ne ressemble plus tellement à un baggy tant il me comprime de partout. Comme si cette journée ne s'annonçait déjà pas suffisamment naze, je vais devoir demander à mon père de l'argent pour m'acheter de nouvelles fringues, et ça, c'est bien pourri.
Je souffle une dernière fois devant mon miroir en remettant mes boucles blondes en place. Je me fous de mon apparence, mais tout de même, je ressemble à une vieille folle échappée d'asile avec mes cheveux en bataille. J'enfile mon sweat XXL rouge et prends mon sac à dos avant de descendre au rez-de-chaussée. Je salue vaguement mon père qui lit son journal, déjà fin prêt pour aller assommer les gens de sa paroisse. C'est tout juste s'il remarque ma présence. Mais ce n'est pas pire que ma mère qui, elle, m'ignore totalement lorsque je passe devant elle.
— On peut y aller, dis-je à mon père.
Il me regarde, arque un sourcil, puis pose son journal.
— Attends-moi dans la voiture, j'arrive.
Je hoche la tête et obéis.
J'ai comme l'impression qu'il n'y a pas que moi qui m'apprête à passer une journée de merde. Un sourire les tuerait ? Quoique j'ai fini par m'habituer. Quand ils ne sont pas en train de gueuler, ils font la gueule, et quand ils ne font pas la gueule, ils brillent par leur absence.
En sortant de la maison, j'aperçois un camion de déménagement garé devant la maison en face de la nôtre. L'incompréhension fronce mes sourcils. Je croyais pourtant que ce vieux grincheux de monsieur Sully ne voulait pas vendre sa maison. Je l'avais même entendu hurler à des promoteurs immobiliers : « Je resterai dans cette maison jusqu'à ma mort ! Et là encore, je la hanterai pour l'éternité ! » Peut-être qu'il a fini par changer d'avis en voyant sa baraque se délabrer sans qu'il puisse l'entretenir.
Ou peut-être qu'il a vraiment passé l'arme à gauche ? Bordel, je ne veux pas que son esprit revanchard vienne hanter le voisinage...
Je déglutis et affiche une grimace en m'installant dans le 4x4 de mon père. Je sais qu'il est mal de penser cela, mais je me fous bien de savoir monsieur Sully six pieds sous terre, cet homme était exécrable. Mais j'espère que nos nouveaux voisins ne seront pas pires.
Comme on dit : on sait ce que l'on perd, mais on ne sait pas ce que l'on gagne...
Mon père s'engouffre dans la voiture et démarre le moteur sans m'adresser le moindre mot. En réalité, il est rare qu'il m'adresse plus de trois ou quatre mots. Quand il prononce deux phrases d'affilée, je m'étonne de le trouver si bavard.
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Face à face
RomancePour Calliope, l'enfer rime avec lycée Crestwood High, et cette dernière année va d'autant plus forger sa conviction. Entre des parents absents, son harcèlement constant et une douleur qu'elle cache derrière une apparente froideur, sa vie est un vér...