Chapitre 4 : Fissure

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Calliope

Après la journée éreintante au lycée et ma sortie interminable au centre commercial, je rentre enfin chez moi, déposée par le bus à l'arrêt qui se situe à quelques mètres de ma maison. Ma mère est aux fourneaux dans la cuisine et m'adresse tout juste un regard lorsque je rentre. Mon père n'est toujours pas revenu de sa journée à l'église, ce qui m'arrange bien. Je grimpe à l'étage pour y déposer mes affaires, et redescends rapidement, mon autorisation de sortie à la main.

— Maman ? J'ai un document à te faire signer, c'est pour que je puisse participer aux sorties scolaires qui vont avoir lieu durant l'année.

Elle quitte des yeux le plat qui mijote et s'empare du document que je lui tends pour en prendre connaissance.

— Un échange inter-écoles ? dit-elle en fronçant les sourcils.

— Oui, toute notre classe y participe, mais il faut que la feuille soit signée.

— Tu veux y aller ?

Je hausse les épaules.

— Tout le monde ira alors je n'ai pas tellement envie d'être la seule à ne pas en faire partie.

Elle opère un geste de la tête, puis s'empare d'un stylo avant de gribouiller une signature en bas de la page. Je sais que ma mère accepte les choses plus facilement que son mari, peut-être qu'elle y voit aussi le moyen de m'éloigner du foyer familial. J'en sais rien, par moments j'ai vraiment l'impression d'être de trop dans cette baraque. Quoi qu'il en soit, je la remercie et range le document précieusement.

— Calliope ? m'interpelle-t-elle, alors que je m'apprête à retourner dans ma chambre. N'en parle pas à ton père pour l'instant, d'accord ? On fera en sorte qu'il pense que la décision a été imposée par ton lycée.

J'accepte d'un hochement de tête, sans réellement comprendre pourquoi elle veut mentir à mon père. Après tout, elle est bien en mesure de prendre ce genre de décision elle-même...

Une fois remontée dans ma chambre, je ferme la porte et m'empare du sac floqué à l'effigie du centre commercial. J'en extirpe les trois pantalons que je viens d'acheter ainsi qu'un tube de gloss à la fraise qu'Ashley m'a conseillé de prendre. Je ne comprends toujours pas ce qui m'a poussée à l'écouter sur ce coup-là, mais je suppose qu'elle avait fini par me fatiguer et à atteindre mon point de rupture.

Je m'approche du miroir et le teste en l'appliquant sur mes lèvres charnues. Il est vrai que c'est plutôt joli, je dois bien l'avouer. Et puis le goût est appréciable. Peut-être que j'ai bien fait de l'écouter finalement.

Mon regard se perd dans mon reflet qui me renvoie sans cesse ce surnom stupide à la figure : Médusa. Même si mon italien de père m'a transmis sa peau légèrement dorée, c'est le seul trait que nous partageons. Lui a les cheveux noirs, grisonnants par endroits. Il est grand et a le regard sombre avec ses iris presque noirs. S'il n'était pas mon père, je pourrais presque le trouver flippant – quoique parfois, c'est un peu le cas.

Je ressemble un peu plus à ma mère qui, elle, a les mêmes cheveux bouclés et blonds que moi, ainsi qu'une silhouette voluptueuse.

En revanche, la couleur de mes yeux, c'est un freestyle total. Un mélange de bleu et de marron parfaitement tranché qui effrayait certains élèves quand j'étais en primaire. Cela a en partie était à l'origine de mon surnom « Médusa » – ça et aussi le fait que je regarde tout le monde de travers.

Mes iris ont toujours attiré l'œil. Et pour cause, ils sont remplis aux trois quarts d'un bleu azur mêlé à une petite touche de vert proche de la pupille, mais sur la partie droite de chacun d'entre eux, une tache marron s'invite, occupant tout un quartier de mes yeux. Une hétérochromie partielle, m'a-t-on dit. Une particularité physique peu commune.

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