Mon humeur massacrante n'avait échappé à personne. Rylan, bien qu'innocente dans l'histoire, récoltait souvent les étincelles de ma colère. Elle ne s'était pas tassée, cette colère. Si j'avais cru pouvoir la contenir, l'ignorer suffisamment longtemps pour qu'elle s'essouffle, rien n'y fit. Bien au contraire, elle s'attisait chaque jour un peu plus. Elle gonflait au creux de mes entrailles, faisait palpiter mon cœur aux portes du malaise et bouillonner mon sang. J'avais l'impression d'être continuellement sur le point d'exploser, de contenir un véritable brasier qui ne demandait qu'à sortir, qu'à s'exprimer de toute sa violence. Rylan ne méritait pas les gerbes brûlantes que je lui lançais. Elle ignorait que Tim était le sponsor de Glen et n'avait rien à voir avec mon frère. Contrairement à Isaac qui essuyait encore et encore mes soufflantes injustes et ardentes. Je n'avais plus de travail pour la maison d'édition. Les BAT étaient partis en impression, validés par les concernés, et la promotion était en cours. Ne m'occupant pas de mes réseaux sociaux, je pouvais respirer. Si seulement je ne vivais pas perpétuellement dans la fumée de mes ressentiments.
Emmitouflé dans une doudoune, la tête rentrée entre mes épaules et les mains enfouies dans mes poches, j'observai les courageux braver le froid intense de la mi-décembre. Au bord de French Broad River Greenway, il était encore plus mordant. Les premiers rayons du soleil avaient révélé une fine pellicule de givre brillant à la lumière de l'aube. Jusqu'au milieu de la matinée, les automobilistes durent gratter leur pare-brise, les joggeurs se couvrir plus chaudement, les piétons rester vigilent sur les trottoirs glissant. Au bord de l'eau, le paysage était saisissant. Les brins d'herbes se complaisaient dans leur voilage luisant, blanchit par la nuit, les feuilles mortes dans leur tombeau éphémère craquaient sous les chaussures, et là où la rivière se faisait plus tranquille, une mince couche d'eau gelée flottait en mille et un morceaux emportés par le vent.
J'enfonçai un peu plus mon visage dans mon écharpe, des volutes de vapeur s'en échappant au rythme de ma respiration. Le vent humide me gela jusqu'aux os. Déjà, je ne sentis plus mes orteils. S'il ne se dépêchait pas, j'allais mourir congelé ici, devant la rivière aux reflets d'opales. Sortir mes mains pour checker mon portable était insurmontable. Je préférais m'enraciner ici plutôt que de perdre mes doigts alors même que le véritable hiver n'était pas encore là.
Un énième écran de buée passa devant mes yeux lorsque je reconnus le bruit de ses pas. Peu après, sa présence me réchauffa plus que je n'osai l'admettre. Je le saluai en tirant sur mon écharpe, laissant à la morsure du froid le bas de mon visage et une main.
— Tu n'as pas trop froid ?
— Ça va.
Nous nous mîmes à marcher dans un vain espoir de se réchauffer. Voilà longtemps que nous ne nous étions pas rendus ici pour nous promener rien que tous les deux. La rentrée ne le permettait généralement pas, surtout avec nos emplois du temps et responsabilités respectives.
Aucun de nous ne parla. Isaac portait son long manteau noir, une épaisse écharpe bleue et des gants. Dénudé de la tête, ses cheveux dansaient au gré de la brise, libres, indomptés, encadrant magnifiquement son visage. Bas dans le ciel, le soleil perçait de temps en temps les nuages blancs, illuminant la surface de la rivière et éclaircissait les yeux bleus de mon amant. Les oiseaux non migrateurs piaillaient depuis le ciel ou les branches nues des arbres, ébouriffés par le froid. Les aboiements d'un chien nous parvinrent de loin, en écho à la sonnette d'un vélo. Malgré les températures basses, ce tronçon aménagé de French Broad River vivait. Comme nous, d'autres profitaient de la météo clémente pour s'aérer, tant qu'il ne pleuvait pas. Au vue de la couleur des nuages, se serait plutôt de la neige. Avec un peu de chance, elle s'invitera pour les fêtes.
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Nos Amours aux Parfums de Glace
Romance« 𝘌𝘵 𝘥𝘰𝘯𝘤 ? 𝘘𝘶𝘦 𝘴𝘶𝘪𝘴-𝘫𝘦 𝘦𝘯𝘵𝘳𝘦 𝘭𝘢 𝘷𝘢𝘯𝘪𝘭𝘭𝘦, 𝘭𝘦 𝘤𝘩𝘰𝘤𝘰𝘭𝘢𝘵 𝘦𝘵 𝘭𝘢 𝘱𝘪𝘴𝘵𝘢𝘤𝘩𝘦 ? » Lee écrit, va à l'université, se moque d'Isaac qui parle à ses plantes d'intérieur, et aide Glen à laver ses cheveux tachés d...