Chapitre 32

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Le bruit du verrou de la porte d'entrée me parvint depuis la salle de bains. À la façon dont la porte se referma, je sus de qui il s'agissait. La lumière, la seule allumée de mon appartement, me trahit. En sous-vêtement, je tombai nez à nez avec Glen, couvert de la tête aux pieds.

Une seconde, le temps s'arrêta.

Juste assez pour apercevoir le rythme lent et douloureux des rivières d'or dans ses yeux. Insoutenables.

Je rompis l'instant d'un mouvement de tête et me rendis dans ma chambre où l'obscurité m'accueillit. Ma serviette s'échoua au sol et je me glissai dans ce cocon inviolable qu'était ma couverture. Là, au creux de mon lit, dans le noir de ma chambre, rien ne pouvait m'arriver. Ni les rêves ni les cauchemars. Ni l'espoir ni les désillusions. J'aimais croire que rien ne me parviendrait, qu'aucun malheur ne me toucherait, si ce n'est un doux sommeil prêt à me sortir de la noirceur de ce monde.

Je remontai la couverture jusque sur ma tête, persuadé qu'ainsi, j'oublierai.

Ma peine.

Mes douleurs.

La trahison.

Surtout la trahison.

La gorge serrée, je ravalai un sanglot lorsque le sol craqua. Le froissement des vêtements m'apparut clairement. Lent déshabillage auquel j'aurais aimé, quelques heures plus tôt, y assister et participer. Je devinai sans mal la chute de ses habits, sa peau mordorée modeler chaque courbe de ses muscles, chaque angle de son corps, et la satisfaction sur son visage à me voir le dévorer des yeux. Sa démarche suave, presque féline, laissa place, ce soir, à un pas prudent. Le fauve, d'ordinaire prédateur, hésitait devant sa proie. Celle-là même acculée sous les draps, dont les blessures rendaient ses réactions imprévisibles.

Je me tendis lorsqu'il souleva la couverture pour s'y faufiler. Sa peau, refroidit par l'air nocturne, me fit me recroqueviller un peu plus sur moi-même. La mienne, chaude et sensible, aurait pu le faire ronronner en d'autres circonstances.

Le silence s'étira dans notre tanière, fragile et pleine de non dit. Des mots étouffés dont les chuchotements s'amplifiaient à présent. Comme le bourdonnement d'une ruche. Ces milliers d'abeilles immatérielles, je pouvais les entendre se heurter aux murs de glace de leur prison fissurée par la découverte du mensonge. Et plus la vérité éclatait, plus la glace tombait, souffrante de la férocité des impactes de ces insectes avides de vérité, intolérantes aux tromperies. Bientôt, la banquise de mon monde se détacherait pour m'abandonner. Ne resterait, comme maintenant, que la chaleur du magma dont les mains coulèrent sur mon corps en une demande muette d'accès et d'acceptation.

Chose que je lui permis.

Glen se rapprocha, son torse collé à mon dos, ses lèvres contre ma nuque. Ses jambes se mélangèrent aux miennes et je nouai nos doigts ensemble.

— Tu avais raison, souffla-t-il après un long silence. Ton père n'accepte que sa propre vision des choses.

— Parce que tu ne me croyais pas ?

— Si. Bien sûr que si.

Il posa sa joue entre mes omoplates et expira plus fort. Entre le savoir et le constater, il y avait un monde. Je ne doutais pas que discuter avec mon père, lorsqu'il méprisait les artistes, n'avait rien d'agréable. Peu importait la solidité des arguments, les siens valaient plus que tous les autres. J'avais, depuis longtemps, abandonné l'idée de lui faire comprendre que les sous métiers n'existaient pas ou que l'art, sous toutes ses formes, ne relevait pas de la sainte grâce divine ou d'un talent inné et gravé dans les gènes, mais bien de travail et d'apprentissage. Il existait des formations pour apprendre à écrire ou à peindre, alors en quoi cela serait-il moins bien qu'un diplôme de comptabilité ou d'édition ? La réponse m'échappait et sans doute ne l'aurais-je jamais.

Nos Amours aux Parfums de GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant