Chapitre 8 - Partie 1

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Il y avait quelque chose de rassurant à être dans ce salon, la télévision trop forte, la décoration chargée, le canapé et les fauteuils trop serrés entre eux. De familier aussi. L'odeur des bougies – la nouvelle obsession d'Emy –, la pendule accrochée à la porte des toilettes – je n'avais jamais compris pourquoi –, le bruit des pas de l'étage, les crépitements provenant de la cuisine en cœur avec maman qui chantonnait. Tout cela me couvait, me confortait dans ce cocon où mes problèmes restaient à la porte. Même si ma mère était un peu étouffante, qu'Emy s'intéressait trop aux garçons, ou que je ne supportais pas entendre le voisin gueuler sur son chien. Ce n'était pas mon appartement ni l'université. C'était un chez moi hors de tout et ça me faisait du bien.

— Lee, tu peux mettre la table s'il te plait, me demanda ma mère depuis la cuisine.

— O.K.

Nous circulions à peine. À croire que la maison rapetissait. La table ronde était tout juste pour trois couverts. Un quatrième et il fallait dire au-revoir à son espace personnel.

Je retirai le napperon de la table, crocheté par ma grand-mère maternelle. Une femme que je n'avais jamais connue et qui, parfois, me manquait sans que je ne sache pourquoi. Quant à mon grand-père, personne ne le connaissait. Ce n'était qu'un homme qui avait tenu compagnie à une femme pour une nuit. Une nuit qui avait bouleversée la vie de ma grand-mère, trop jeune pour avoir un enfant, hors du sentier de la religion pour se marier dignement. Mais qu'est-ce qu'elle avait été digne ma grand-mère ! Je ne me lassais jamais d'entendre ma mère en parler. Je l'imaginais si forte, vaillante et fragile en même temps. Tout quitter pour l'enfant d'un inconnu. Travailler sans être mariée, seule avec un nourrisson à sa charge. Rien n'était assez fort pour décrire ce qu'elle avait vécu. Et j'étais très mal placé pour en soupçonner, ne serait-ce que les contours de cette vie d'infortune, à lutter contre la société même, sans fléchir car un petit être comptait pour elle.

J'installai la table et appelai Emy pour qu'elle descende manger. Maman sortit de la cuisine, un bandana sur la tête retenant ses cheveux clairs, les mains chargées. Dans l'escalier, un véritable hippopotame les fracassa.

— Emy, doucement, rabroua notre mère.

— Leelee !

Je levai les yeux au ciel et la laissai embrasser ma joue. Je m'étais annoncé en arrivant et maman l'avait certainement prévenu que je venais. Aucune chance donc qu'elle soit surprise de me voir, même si elle le laissa sous-entendre.

— Pourquoi t'es là ? demanda-t-elle en s'installant à table.

— Je n'ai pas le droit de passer à la maison, peut-être ?

— Tu passes jamais. Ou alors, c'est quand t'as plus rien à manger. C'est ça ? Tu viens parce que tu meurs de fin dans ton appart' ?

Elle se mit à rire et je fonçai dans son jeu puéril. Nous nous chamaillâmes, comme à chaque fois que nous nous voyions. Impossible de discuter avec elle plus de deux minutes sans que l'un de nous n'attaque l'autre. Maman en rajouta une couche, agacée de toujours nous entendre nous tirer dans les pattes. Le journal du midi passa sur la chaine principale, nous obligeant à baisser d'un ton avec ma sœur. Gare à celui qui empêchait notre mère d'écouter les informations. C'était plus que du respect : c'était une question de survie.

Je récupérai le saladier avant Emy qui gonfla les joues en silence. J'ignorai son regard de tueuse, ricanant de cette victoire. Elle se vengea bien plus vite, attrapant avant moi la vinaigrette. Elle me tira la langue, fière d'elle.

Quatre ans nous séparaient. Quatre ans et des pères différents. Luc n'était que rarement à la maison. Marines de profession, il passait le plus clair de son temps en mer et ne revenait que lors de ses permissions. Cette absence de présence paternelle nous avait rapproché, même si mon propre père n'avait pas d'excuse aussi valable. Je ne considérais pas Luc comme mon père, même s'il en prenait bien plus l'apparence que mon géniteur.

Nos Amours aux Parfums de GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant