Chapitre 30 - Partie 2

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Un soupir brumeux m'échappa et je ne rechignai pas à monter dans la voiture d'Isaac, une fois arrêtée. Un baiser m'accueillit sans parvenir pour autant à m'ôter la désagréable sensation de bazar dans ma tête. Le menton dans ma paume de main, j'observai le paysage familier du quartier défiler à la vitesse de la conduite d'Isaac. Il ne resta pas très longtemps muet, conscient du malaise ambiant. Je savais qu'il remarquerait. Parce que c'était Isaac et qu'il me connaissait bien. Trop bien peut-être. Tout comme je le connaissais assez pour anticiper.

— Je ne veux plus parler de mon père, l'interrompis-je au moment où il ouvrit la bouche pour parler.

— Alors discutons de Tim.

Ma bouche se courba vers le bas. Ce sujet-là non plus ne me plaisait pas.

— Et avant que tu ne refuses, ajouta-t-il dans un timing parfait pour me couper l'herbe sous le pied, sache que je te donnerais quand même mon opinion.

Ça, je n'en doutais pas. Résolu, je me réinstallai dans le siège, bras croisés, les yeux rivés sur la route face à nous.

— Tim n'est pas ton père.

— Il reste son fils.

— Comme toi, que tu le veilles ou non.

Et ça m'emmerdait bien. Justement parce que je l'étais je devais faire des efforts. Sauf qu'il n'y avait aucune justice à ce que les efforts ne marchent que dans un sens. Et merde ! J'en avais bien assez fait comme ça pour me contraindre à cette mascarade ! C'était n'importe quoi.

— Tim aimerait rattraper un peu le temps perdu, lâcha Isaac comme si de rien n'était.

— Pardon ? Tu parles en son nom maintenant ?

— C'est ce qu'il m'a laissé sous-entendre.

— Parce que vous vous êtes reparlés ?!

Il ne manquait plus que ça ! Que ces deux là refassent copain – copain alors que ça faisait près de quatorze ans qu'ils étaient en froid. Isaac fronça les sourcils, les mains crispées sur le volant. Je savais que mon ton accusateur ne lui plairait pas. Je ne l'avais pour autant pas retenu. Pourquoi faire ? J'apprenais coup sur coup que mon frère voulait me faire passer le nouvel an avec mon père, qu'il invitait mes deux meilleurs-amis, et maintenant qu'il avait renoué contact avec Isaac, son ami d'enfance. C'était trop pour que je puisse en tolérer plus et me montrer concilient.

— Et pourquoi n'aurais-je pas du ? Parce qu'on s'est disputé il y a longtemps ? Parce que tu ne t'entends pas avec lui ? Parce qu'on sort ensemble ?

— Je n'ai jamais dit ça, répliquai-je, attaqué.

— Tu ne dis rien, c'est encore pire.

Je mordis ma lèvre et détournai le regard de la route pour la vitre. Je mentirais si je disais ne pas savoir ce qu'étais que cette sensation dans ma poitrine. Ce désagréable sentiment d'être exclus, de rater une évidence sans être celle d'Isaac. La morsure de la jalousie ne m'avait pas empoigné ainsi depuis des années. Depuis presque quatorze ans, en fait. Elle me démangeait, pesant sur mon thorax, raccourcissant ma respiration. Je fermai les yeux pour la contenir. Je la croyais disparu à jamais. Mais jamais ne devait pas être dit. Enfant, ma jalousie envers Tim était palpable mais minimisée. Je n'étais qu'un petit garçon qui suivait partout son grand-frère et voulait faire comme lui. Alors jouer avec ses amis, surtout Isaac, n'avait surpris personne. La vraie surprise était apparue du côté d'Isaac, par son acceptation, sa clémence envers le petit-frère de son meilleur ami. Aucun autre de ses amis ne m'avaient traité si gentiment, avec égalité. Alors forcément, je m'étais attaché. Qui ne l'aurait pas fait ? Et puis, du jour au lendemain, j'avais eu Isaac rien que pour moi. Tim s'était effacé du tableau sans que je ne sache pourquoi. Mais ça m'avait été. J'avais obtenu l'inimaginable : l'amitié sans faille d'Isaac. Malgré notre écart d'âge, malgré mon frère, malgré mon propre caractère. Et si j'avais eu la mauvaise idée de le croire acquis, je m'apercevais que c'était encore le cas, que je n'avais décidément rien retenu.

Nos Amours aux Parfums de GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant