Il pleuvait. À croire que le ciel ne cessait jamais de pleurer. Les nuages gris nous surplombaient en une couverture menaçante qui cachait le soleil et les étoiles. J'aurais aimé les voir, l'un ou les autres. Croire que tout n'était pas terne et sans saveur. Une lumière dans le brouillard de mon existence. Quelque chose à quoi me raccrocher, pour ne pas sombrer.
Une douleur m'arracha à mes pensées. Je frottai le dos de ma main rougit sous les sévices de Rylan.
— Pourquoi tu m'as pincé ?!
— T'aurais préféré que je te morde ?
La question ne se posait même pas ! Je détournai le regard de mon amie, faisant défiler sous mes yeux les pages et les pages de chiffres qui composaient notre cours. Cours manqué à cause de la tempête. À rattraper évidemment, avant la fin de la semaine. Comme si je n'avais que ça à faire.
Un soupir m'échappa et les doigts démoniaques de Rylan me pincèrent en une torsion sadique.
— Aïeuh !
— Y se passe quoi ? Et me répond pas « rien ». J'te connais trop bien. T'aurais pas une tête de déterré si y'avait vraiment rien.
Le retour du livre ouvert. Il fallait sérieusement que je songe à le refermer un peu, ou le rendre moins lisible. Mon stylo tourna entre mes doigts sans que je ne réponde. Mouvement inlassable qui se rompit lorsque la gravité se rappela à l'objet.
— C'est... personnel, dis-je vaguement.
— Personnel comment ? Aux doux noms d'Isaac et Glen ou... ?
— Rien à voir avec eux.
Je n'étais pas agréable, je m'en rendais compte. Rylan ne méritait pas mon humeur irritable et instable. Sauf que je ne pouvais pas m'en empêcher. C'était là, ça me griffait sous la peau, me grignotait les entrailles, me sifflait dans les oreilles. Ça grouillait comme une multitude de fourmis venimeuses infatigables. Elles couraient inlassablement, paralysant tantôt mes bras, tantôt mes jambes, tantôt mes poumons, parfois même jusqu'à mon esprit. Je les soupçonnai même d'être les points noirs qui apparaissaient parfois devant mes yeux ou de me tordre assez la langue pour rendre mes paroles acides.
— Ok..., répondit Rylan.
Son épaule percuta la mienne et la chaleur de sa voix, tout comme son contact, fissura l'écran obscur de ma conscience.
— Tu sais où me trouver, si t'as envie de parler. OK ?
Son sourire illumina un instant les fractures de ma peine. Les fourmis venimeuses désertèrent mon corps, retranchées je ne sais où, loin dans l'immédiat, assez pour redonner vie à mon visage que je ne sentais plus depuis ce qui me semblait être des années – alors qu'on parlait d'heures.
— Merci. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
— Pas grand-chose, c'est sûr !
Et elle explosa de rire. La bibliothécaire de l'étage la rabroua, ce qui ne suffit pas. Fidèle et, parce que je me sentais aussi responsable, nous nous fîmes mettre dehors pour non respect du règlement intérieur. Merci Rylan.
Nous nous réfugiâmes dans le bâtiment d'art dramatique et je suivis Rylan, toujours à l'aise dans ces couloirs qui n'étaient pas les nôtres. Peu d'élèves circulaient. Parfois, en passant devant une porte, nous pouvions entendre une voix s'élever en une intonation comptant mille et unes histoires. Comme les arts, la vie universitaire dans ce département me semblait hors du temps. Il y avait une dimension impalpable, nébuleuse autour de ces domaines. Loin du concret qu'incarnaient les mathématiques ou la biologie, non reconnu et respecté comme la chimie ou la pharmacologie, ni même accepté, à la rigueur, comme la littérature. Les arts, ce n'était que de l'art ; abstrait, bien pour faire joli, un passe-temps pour les portes-monnaies un peu plus lourd. L'art appartenait aux génies, non pas aux travailleurs. Enfin, d'après les dires. Pourtant, je les voyais s'échiner à s'améliorer. Encore. Encore plus. Toujours vers la perfection. Pour entretenir l'illusion que l'art était inné, qu'il ne se monnayait pas, que ce n'était pas un métier mais une passion. Dont les plus fous revendiquaient pour vivre. L'art évoluait dans un monde à part, difficile, tel un paria. Après tout, j'en avais été le premier convaincu : dernière année de comptabilité pour avoir un diplôme en plus de mon activité d'auteur.
Rylan nous entraina dans une salle vide. À croire qu'ici ils ne fermaient rien à clé. Elle s'installa sur une table et je restai contre la porte à observer l'endroit.
— Alors, avec Gaby ? demandai-je à la fois pour l'empêcher de me poser la même question mais aussi par curiosité.
— Quoi ? Elle te plait ?
— Pas toi ?
Son sourire en coin la trahit. Ses jambes se balancèrent dans le vide, emportées par le poids de ses Docks. Je délaissai la porte pour marcher, faire le tour de la pièce. Tout un tas de papiers punaisés décoraient un pant de mur entier. Je m'y attardai, découvrant des citations, des répliques de films, de séries, de livres, connus, inconnus, iconiques, incompréhensibles ou horriblement exacts. Parfois griffonnés, déchirés d'un journal, sur une page jaunie par le temps, tapés à l'ordinateur, customisés de lettres découpées, taggués ou élégamment calligraphiés.
Le cliquetis des chaînes que portait Rylan à son jeans me sortit de ma contemplation. Je la trouvai allongée sur deux tables, bras croisés derrière la tête, à fixer le plafond avec attention.
— Bien sûr que si. Elle est grave canon, super sympa et lesbienne. Que demander de plus ?
— Mais ?
Elle soupira. Difficile de passer de l'autre côté du radar de l'amour. Même avec toute la théorie du monde, l'amour n'avait pas de règles. Rylan me critiquait sans cesse mais elle n'avait pas de quoi rire : les doutes et les remises en questions ne l'épargnaient pas. J'étais l'auteur de romance sans histoire d'amour et elle, le miroir des cœurs sans jamais réussir à refléter le sien.
Je fis un pas quand elle reprit :
— Mais elle est libre.
— Libre ? Je ne vois pas le...
— Elle veut une relation libre, ouverte. En gros, sentimentalement restreinte mais sexuellement disponible.
OK, elle m'avait perdu. Elle se redressa d'un coup, m'épinglant du regard.
— T'as de la chance, toi. Deux hommes qui te veulent exclusivement ! C'est tellement plus simple que de savoir sa moitié dans le lit d'une autre.
— Je ne dirais pas que c'est plus simple. Et puis, ça n'a rien de comparable.
Elle sauta de la table, fourrageant ses cheveux jusqu'à les décoiffer. Ses semelles claquèrent contre le lino alors qu'elle tournait comme une lionne en cage. Son histoire ne me parlait pas. Gaby m'avait fait bonne impression. Mais si les deux parties n'attendaient pas la même chose d'une relation, était-il nécessaire d'insister ? Quitte à s'érafler et se blesser ?
Je décrochai de Rylan, brusquement conscient. Conscient de ce que j'avais raté. De que je n'avais pas vu. Ou peut-être, pas voulu voir.
L'évidence.
La base de tout.
Ce qui m'effrayait. Ce qui meurtrissait mon cœur.
La cruelle vérité.
Celle qui nous avait étouffé jusqu'à presque nous tuer.
— Eh ! Leeroy !! T'es là ? Ton téléphone sonne, idiot.
— Ah oui !
Je décrochai. Rylan fronça les sourcils, la bouche courbée vers le bas. Depuis combien de temps mes pensées m'avaient-elles déconnecté du présent ? Assez pour me rendre aphone et ne pas entendre ma sonnerie. Suffisamment aussi pour décrocher sans regarder de qui il s'agissait.
— Leelee ?
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Nos Amours aux Parfums de Glace
Romansa« 𝘌𝘵 𝘥𝘰𝘯𝘤 ? 𝘘𝘶𝘦 𝘴𝘶𝘪𝘴-𝘫𝘦 𝘦𝘯𝘵𝘳𝘦 𝘭𝘢 𝘷𝘢𝘯𝘪𝘭𝘭𝘦, 𝘭𝘦 𝘤𝘩𝘰𝘤𝘰𝘭𝘢𝘵 𝘦𝘵 𝘭𝘢 𝘱𝘪𝘴𝘵𝘢𝘤𝘩𝘦 ? » Lee écrit, va à l'université, se moque d'Isaac qui parle à ses plantes d'intérieur, et aide Glen à laver ses cheveux tachés d...