Chapitre 71 - Neva

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Certaines décisions sont douloureuses, certaines décisions bouleversent, certaines décisions bousculent. Elles sont difficiles à prendre mais nécessaires. Lorsque l’on sent au plus profond de soi, cette petite voix qui nous souffle d’agir, c’est qu’il est temps. Aaron a mis mon cœur en miettes. Ses larmes m’ont brisée. Je ne voulais pas qu’il souffre mais il retenait trop de choses en lui depuis bien longtemps, je suis juste celle qui a su lui offrir l’espace dont il avait besoin pour se décharger. Il en avait besoin. J’en avais besoin. J’ai toujours pensé que chaque personne croise notre route pour une raison. J’étais peut-être là pour lui montrer le chemin à suivre et lui, pour m’éviter de commettre les mêmes erreurs. À trop vouloir sauver les autres, on se perd soi-même.

Lorsque je rentre chez moi, je me dirige dans la salle de bain pour me passer de l’eau sur le visage puis je vais dans ma chambre et m’allonge sur mon lit. Je ferme les yeux et soupire lourdement. J’attends de longues minutes mais le silence ne suffit pas à m’apaiser car mes pulsations cardiaques cognent encore fortement dans ma poitrine. Je me redresse d’un bond et attrape mon téléphone posé sur la table de chevet. Mes doigts hésitants tapent spontanément un message et l’envoient sans réfléchir. Mince… pourquoi la nuit nous fait toujours écrire n’importe quoi ? Peut-être que je ne devrais pas. Je balance mon téléphone plus loin dans mon lit en fermant fortement les yeux mais la réponse à mon message ne se fait pas attendre. Je tâtonne le matelas, l’attrape, fronce les yeux lorsque la lumière bleue du téléphone m’éblouie. Je balaye alors la conversation du doigt.

Lieutenant Orsini… est-ce que vous dormez ?

Pas vraiment. Je termine mon service dans deux heures. Ça va ?

Mon cœur s’emballe. Je mordille ma lèvre inférieure. Lance-toi Neva.

Oui… Est-ce que dans deux heures, vous seriez disponible pour une dernière intervention ?

Où est-ce que je dois intervenir ?

Un sourire enjoué se dessine sur mon visage lorsque je constate qu’il joue le jeu.

À mon domicile.

Tu veux vraiment que je vienne ?

Oui…

Je viendrai dès que j’ai terminé.

J’expire profondément en jetant mon téléphone sur la table de chevet. J’ai deux heures devant moi et me demande bien ce que je pourrais faire pour tuer le temps. Je me redresse, me lève pour m’accroupir et saisis la boîte en bois que j’ai cachée sous mon lit. Je n’avais pas eu l’occasion ni la force de reprendre la lecture des lettres gardées par maman.

Tous ces mots d’amour écrits par un amour perdu… Maman a toujours été présente pour nous, elle nous a tout appris, mais elle était souvent triste… elle pleurait même si elle se cachait pour le faire. J’ai aperçu plusieurs fois ses yeux rougis par le chagrin. J’ai parfois pensé qu’on ne lui suffisait pas, qu’on n’était peut-être pas assez pour son bonheur… pas assez pour la rendre totalement heureuse. Que son cœur brisé, lassé par des années de solitude a lâché du jour au lendemain… parce qu’elle avait assez donné, trop donné à la vie qui ne lui a pas assez offert en retour.

Je m’assois en tailleur sur mon lit et mes doigts frôlent le bois ancien, rugueux, fissuré par le temps, puis j’ouvre la boîte rectangulaire dans un grincement. Je saisis une lettre et deux puis trois. Je m’allonge de tout mon corps en lisant quatre et cinq puis six lettres. J’ai l’impression de voyager dans le temps. Cet homme lui a écrit combien de lettres ? Ces mots sont toujours empreints d’un amour passionné… presque déchirant et désespéré.

Quand le coeur balance...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant